Le complexe pompéien du Champ de Mars, une ville dans la Ville. Restitution virtuelle d’un théâtre à arcades et à portique au IVe siècle p. C., publication de la thèse soutenue à l’Université de Caen Basse-Normandie en 2006, en cours de publication)
Différentes sources, textuelles et archéologiques permettent d’étayer l’hypothèse d’un anneau en cordes, qui remplacerait les vergues pour soutenir la toile de lin. Le premier argument est le verbe diateinô qu’utilise Dion Cassius en parlant précisément du théâtre de Pompée, où Néron accueillit Tiridate, le roi d’Arménie :
D. C. 63, 6, 2 : Les voiles tendus en l’air pour garantir du soleil étaient en étoffe de pourpre ; au milieu était brodé Néron, conduisant un char, et tout à l’entour brillaient des étoiles d’or.
Nous savons par un autre texte de Pline que c’est précisément au théâtre de Pompée qu’eut lieu la cérémonie :
Plin., Nat. 33, 54 : Huius deinde successor Nero Pompei theatrum operuit auro in unum diem, quo Tiridati Armeniae regi ostenderet. « Par la suite, Néron, qui succéda à Claude, fit recouvrir d’or le théâtre de Pompée pour le seul jour où il voulait le montrer à Tiridate, roi d’Arménie ».
Le sens du verbe diateinô est clair, il signifie « tendre, distendre », avec l’idée d’écartement, apportée par le préfixe *dia-. Pour conforter notre hypothèse, un texte d’Hérodote (3, 33) nous paraît très intéressant. Il utilise l’expression diateino toxon, au sens de « tendre un arc avec force ». Nous pensons qu’il est ici fait allusion à la tension de l’anneau de cordes, qui doit être parfaitement tendu entre les mâts de la cauea et ceux du mur de scène. Le deuxième argument est un passage des Questions naturelles de Pline (19, 23-24), qui dit : « Tout récemment des toiles azurées et semées d’étoiles furent tendues aussi à l’aide de câbles dans les amphithéâtres de l’empereur Néron». Comme le texte de Dion Cassius nous parle aussi d’étoiles (stellata chez Pline et asteres chez Dion Cassius), suite à une volonté de Néron de décorer un édifice de spectacle, il nous semble que Pline fait une confusion en parlant de « l’amphithéâtre de Néron » et qu’il s’agit en fait du théâtre de Pompée. Or, ce qui nous intéresse dans le texte de Pline est le per rudentes iere, « [les toiles] se déployèrent sur des câbles », en parlant du uelum. Il s’agit manifestement d’une allusion aux cordes, sur lesquelles les voiles se déployaient, ce qui rejette l’hypothèse des vergues que nous avions dans un premier temps envisagée.
Une fois prise la décision d’installer un anneau de cordes, restait à définir comment nous allions l’attacher aux mâts du mur de scène. Deux hypothèses sont envisageables. La première solution, proposée par J. C. Golvin2 sur le théâtre d’Orange, est que les cordes de maintien soient disposées parallèlement pour rejoindre une autre corde faisant sensiblement le diamètre de la cauea, comme nous le voyons sur l’aquarelle suivante :
Nous proposons pour notre part l’hypothèse de cordes qui joindraient directement l’anneau central, de la même façon que celles qui viennent de la cauea, c'est-à -dire sans être installées parallèlement, mais de sorte à former un volume trapézoïdal entre chaque corde.
Est-il toutefois nécessaire de placer autant de cordes partant du mur de scène ? Les traces archéologiques du théâtre d’Orange nous éclairent sur la question : il n’y a pas de trous sur une grande partie des consoles de la corniche censées soutenir les mâts du uelum au niveau du mur de scène (Graefe R., Vela erunt, Die Zeltdächen der römischen Theater und ähnlicher Anlangen, Mainz, Verlag Ph. Von Zabern, 1979, p. 25). Dans l’état qui nous a été conservé, seulement une partie des consoles était utilisée pour porter les mâts : six de chaque côté. Les autres consoles n’avaient donc probablement qu’un effet décoratif. Bien sûr, il ne s’agit que de l’état d’une époque et nous travaillons sur le théâtre de Pompée et pas sur celui d’Orange, mais les deux édifices sont proches, chronologiquement et architecturalement, ce qui semble nous autoriser à faire des parallèles. Nous avons donc reconstitué un anneau soutenu par six cordes de chaque côté et de ce fait, les cordes ne sont pas parallèles.
On voit sur ce schéma en vue de dessus que l’intégralité des gradins peut être couverte sans problème, et sans que l’on ait à prendre en compte des questions de poids ou d’envergure de vergues. Toutes les toiles sont ici soutenues par des cordes, elles-mêmes arrimées aux mâts et nouées sur l’anneau central, qu’elles tendent au-dessus du théâtre. Il faut juste imaginer que sur une pareille longueur, les cordes devaient légèrement s’affaisser au milieu de leur course et, par conséquent, l’anneau de corde doit être légèrement plus bas que le niveau auquel les cordes sont arrimées sur les mâts. Quand le uelum n’était pas déployé, par exemple en cas de vents trop violents, la structure de soutien en cordes restait certainement en place, pour de simples raisons pratiques. Comme il n’y avait à ce moment là aucun voile tendu entre les cordes, la prise au vent de l’installation ne devait être que minime.
Pour l’allusion au Néron brodé au milieu du uelum, nous pensons qu’il s’agit d’une toile qui avait dû être ajoutée au milieu de l’anneau de cordes, à l’endroit qui laissait normalement passer le soleil. Il aurait en effet été assez simple de le hisser là pour l’occasion à l’aide de poulies, et on comprend alors bien pourquoi Dion Cassius dit que Néron était « au milieu » de la toile (D. C. 63, 6, 2 : et au milieu d’elle était brodé Néron). Du coup, l’empereur était visible par l’ensemble des spectateurs sans qu’ils aient besoin de regarder trop à leur verticale, et les étoiles auxquelles fait allusion le texte auraient été brodées sur l’ensemble des voiles déroulés sur l’anneau de cordes (D. C. 63, 6, 2 : et tout autour, des étoiles d’or brillaient).
La restitution virtuelle permet de voir comment s’agençait le système une fois déployé et surtout de tester son efficacité.
Avec un tel système, aussi certainement utilisé sur le théâtre d’Orange, le théâtre est protégé de façon optimum contre les rayons du soleil.