1 – Fonction de la machine et sources anciennes
Vitruve ne consacre que quelques lignes au moulin à eau, à la suite des roues automotrices dont il est probablement dérivé. Il s'agit toutefois de la seule description technique ancienne de cet appareil :
Vitr. 10, 5, 2 :
Eadem ratione etiam uersantur hydraletae, in quibus eadem sunt omnia, praeterquam quod in uno capite axis tympanum dentatum est inclusum. Id autem ad perpendiculum conlocatum in cultrum uersatur cum rota pariter. Secundum id, tympanum maius item dentatum planum est conlocatum quo continetur. Ita dentes tympani eius, quod est in axe inclusum, inpellendo dentes tympani plani cogunt fieri molarum circinationem. In qua machina inpendens infundibulum subministrat molis frumentum et eadem uersatione subigitur farina.
C'est encore suivant le même principe que l'on fait tourner les moulins à eau, où se retrouvent les mêmes éléments, avec pourtant cette différence qu'à une extrémité de l'essieu (A) est emboîté un tambour denté (B) ; ce tambour, placé verticalement, de chant, tourne de concert avec la roue (C). Contre lui est disposé, horizontalement, un tambour plus grand (D), également denté, sur lequel il engrène. Ainsi les dents du tambour, qui est emboîté sur l'axe, en entraînant les dents du tambour horizontal, déterminent le mouvement tournant des meules (E, E'). Suspendue au dessus de cette machine, une trémie (F) alimente les meules en grains que cette même rotation réduit en farine. (Traduction Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993).
Hydraletes d'après Vitruve (schéma Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993, fig. 36 p. 172).
A : axis
B : tympanum ad perpendiculum conlocatum
C : rota
D : tympanum maius planum
E : molae ((E mobile ; E' fixe)
F : infundibulum
Dans le moulin à eau de Vitruve, le mot
molae désigne précisément les deux meules. Elles ne sont pas décrites, mais voici comment on peut les reconstituer d'après les meules retrouvées dans des moulins à engrenages de postes frontières romains en Germanie, notamment à Saalburg : ce sont deux pierres rondes placées l'une au-dessus de l'autre. La pierre inférieure (E') est immobile, elle possède une face supérieure légèrement convexe et est percée en son milieu pour laisser passer l'axe qui va du système moteur (ici des roues dentées mues par l'eau) à la pierre supérieure (E) qui est mobile. Cette dernière possède une face inférieure concave qui s'adapte précisément à la face convexe de la pièce immobile. Elle est également percée en son milieu pour recevoir le moyeu de l'axe moteur, probablement engagé à queue d'aronde, moyeu qui est lui-même percé d'ouvertures pour permettre une alimentation permanente en grains à partir d'une trémie (
infundibulum, F) placée au-dessus.
Dans la description de Vitruve, le tambour horizontal (
tympanum planum, D) est plus grand que le tambour vertical. C'est étonnant et en contradiction avec les principes de construction des moulins à eau en usage jusqu'au siècle dernier dans lesquels la roue horizontale (la lanterne) est plus petite que la roue verticale. C. Perrault, malgré l'accord unanime des manuscrits, avait changé maius en minus et il fut suivi par plusieurs éditeurs. C. Maufras par exemple, reprend le commentaire de C. Perrault : "D'après les principes de la mécanique, cette seconde roue, placée horizontalement doit être plus petite que celle qui la fait mouvoir ; autrement la meule tournerait plus lentement que la roue qui va dans l'eau, ce qui ne doit pas être" (C. Maufras, Vitruve..., t. 2, p. 533 n. 49.). Cela n'est pas exact car pour appréhender totalement la question, il faudrait que Vitruve nous indique le rapport entre le diamètre de la roue à aubes et celui de la roue dentée verticale. Il se peut par exemple que dans le moulin vitruvien la roue à aubes soit très petite et tourne donc très vite : les dimensions des tambours dépendaient avant tout de la force du courant et il ne pouvait donc y avoir de règle générale.
La liste des vestiges archéologiques établie par O. Wikander (Ö. Wikander, Vattenmöllor och möllare i det romerska riket, Lund, 1980, p. 29 55 et p. 153 154) fait apparaître une quarantaine de sites sur lesquels ont été découverts des restes d'installation de moulins à eau antiques, quelquefois même des traces suffisamment importantes pour pouvoir reconstituer une partie de l'appareil lui même comme à Venafro en Italie (Cf. L. Jacono, La ruota idraulica di Venafro : Annali dei Lavori Pubblici, 77, 1939, p. 217 220). En France, à Barbegal, ou à Rome, sur le Janicule, les moulins étaient installés en série sur une pente et alimentés par un même aqueduc. En Grande Bretagne, le long du mur d'Hadrien, ont été retrouvés des restes de moulins à eau utilisés par les garnisons romaines (Cf. Watermills and military works on Hadrian's Wall. Excavations in Northumberland 1907 1913 by F.G. Simpson, éd. par G. Simpson, Kendal, 1976.). Des moulins à eau sont également représentés, mais très sommairement, sur la paroi d'une catacombe romaine (fin IIIe p.C. ?), sur une mosaïque du palais impérial de Constantinople (fin Ve siècle p.C. ?), peut être aussi sur une mosaïque d'Utique.
3 – Bibliographie
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