Char à Faux
Dans le chapitre 12 du De rebus bellicis, l’anonyme décrit un char à faux double (Expositio currodrepani). Il s’agit d’un char avec faux relevables, mené par deux cavaliers.
L’Anonyme décrit trois types de chars à faux : le char à faux avec deux chevaux (currodrepanus, chap. 12), le char à faux avec un seul cheval (currodrepanus singularis, chap. 13) et le char à faux à boucliers équipé d’un fouet automatique (currodrepanus clipeatus, chap. 14). Là encore, il est le seul auteur connu à utiliser cette dénomination, currodrepanus, formée du latin currus, « char », et du grec δρέπανον, « faux ». Curieusement, il n’emploie ce mot que dans les titres de chapitres, comme il le fait pour [ballista] quadrirotis, clipeocentrus et plumbata. Ailleurs, il appelle le char à faux falcatus currus (18, 8 et 19, 7), qui est l’expression que l’on rencontre le plus fréquemment (Par exemple : Ampel. 16, 2 ; Curt. 4, 12, 6, et al. ; Ruf. Fest. 12, 1 ; Iust. 38, 1, 8 ; Hist. Aug., Alex. 55, 2 et 56, 4.) ; Végèce, mil. 3, 24, 1-4, emploie, quant à lui, l’expression quadriga falcata présente aussi chez d’autres auteurs (Bell. Alex. 75, 2 ; Curt. 4, 9, 4 ; Frontin, strat. 2, 3, 18 ; Liv. 37, 40, 12 ; 37, 41, 5). Le char mené au milieu des lignes ennemies avec des faux fixées aux moyeux n’est pas une nouveauté en soi. Il est attesté depuis la fin du Ve siècle av. J.-C. voir Commentaire ad loc.) et régulièrement mentionné par la suite jusqu’à Végèce, qui exprime une opinion défavorable à son sujet. Mais l’Anonyme donne sur cette machine des détails que l’on ne trouve pas ailleurs et qui sont peut-être des innovations. Le premier élément – peut-être le plus important – est que les machines décrites ne sont pas des chars à proprement parler : elles ne portent aucun conducteur. Il s’agit de simples essieux, sans caisse associée, menés par un ou deux chevaux qui portent eux-mêmes un ou deux cavaliers. Or, dans les chars décrits par Xénophon, Cyr. 6, 1, 27-30, le conducteur se trouve bien sur le char lui-même. Le second élément est le système de relevage des faux, présent sur les trois chars. Il répond à la critique de Végèce qui dit que le moindre obstacle les arrête (Veg., mil. 3, 24, 2). Une fois les faux relevées, ce char a, en effet, la même maniabilité qu’un char ordinaire. Le deuxième char décrit est une version réduite du précédent, avec un seul cheval et un seul conducteur. C’est peut-être là aussi une innovation, répondant à la même préoccupation que précédemment : avoir un engin suffisamment maniable pour être utilisé dans le plus de circonstances possible. Le troisième char a deux chevaux, comme le premier, mais un seul conducteur. Son originalité tient surtout dans le fait qu’il est équipé de boucliers à pointes (des clipeocentri ?) et de fouets automatiques. Cette dernière particularité aurait dû apparaître dans le nom de la machine, car c’est ce détail qui est notamment remarquable. Mais le texte du chapitre est probablement corrompu (voir Commentaire ad loc.), et il n’est pas impossible que nous soyons en présence de la fusion de deux variantes. Dans la préface, l’Anonyme parlait en effet d’un cheval « équipé de façon à causer beaucoup de pertes à l’ennemi en se fouettant lui-même sans être conduit par quelqu’un » (praef. 13). Or, cette variante – attestée par Xénophon pour la bataille de Cunaxa, en 401 a.C., entre Cyrus le Jeune et Artaxerxès II (Xen., An. 1, 8, 20) – n’est pas mentionnée ici par l’Anonyme. En tout cas, avec les perfectionnements proposés, les chars à faux de l’Anonyme sont loin d’être des armes obsolètes, comme cela est souvent écrit, et ils pouvaient s’avérer efficaces en terrain dégagé. Au xviiie siècle, Voltaire conseillera encore ce type de machine à Catherine de Russie (Voltaire – Catherine II, Correspondance 1763-1778, texte présenté et annoté par A. Stroev, Paris, Non-Lieu, 2006).
De rebus bellicis, 12, 1-4 (texte établi, traduit et commenté par Philippe Fleury, Paris, Les Belles Lettres, 2017) :
Expositio currodrepani
1 Huiusmodi pugnacis uehiculi genus, quod armis praeter morem uidetur instructum, reperit Parthicae pugnae necessitas. 2 Sed hoc singulis bene munitis inuecti equis duo uiri, – uestitu et armis – ferro diligenter muniti, citato cursu in pugnam rapiunt ; cuius posterior supra currum pars cultris in ordinem exstantibus communitur, uidelicet ne facilis a tergo cuiquam praebeatur ascensus. 3 Falces uero acutissimae axibus eiusdem currus aptantur, in lateribus suis ansulas habentes quibus innexi funes pro arbitrio duorum equitum laxati quidem explicant, repressi autem erigunt falces. 4 Qualia uero huiusmodi machinae funera hostibus immittant uel quas turbatis ordinibus strages efficiant, dicent melius qui usu bella cognoscunt.
XII. Description du char à faux
1 Ce type de véhicule de combat, armé, comme on le voit, d’une façon sortant de l’ordinaire, est une invention répondant aux besoins de la guerre parthique1. 2 Deux hommes soigneusement protégés par du fer – armes et armure –, montés chacun sur un cheval <également> bien protégé, le lancent à vive allure au milieu de la mêlée ; sa partie postérieure, au-dessus du châssis, est équipée d’une rangée de couteaux en saillie afin évidemment que personne ne trouve là un accès facile par l’arrière. 3 Des faux très acérées sont fixées aux axes de ce châssis ; sur le côté, elles ont de petits anneaux, auxquels sont attachés des câbles ; lorsque ceux-ci sont relâchés, ils font descendre les faux, lorsqu’ils sont tirés, ils les font remonter, selon la volonté des deux cavaliers. 4 Ceux qui connaissent la guerre pour l’avoir faite diront mieux que moi quelles pertes les machines de ce type causent à l’ennemi et quels carnages elles provoquent dans les rangs qu’elles disloquent.