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Pressoir à levier et à treuil

Le Traité d’agriculture de Caton l’Ancien (234 – 149 av. J.-C) est le plus ancien texte latin en prose qui nous soit parvenu en entier. Le chapitre 18 explique comment concevoir et construire un pressoir à huile.

L’huile est très importante dans l’Antiquité classique : outre l’alimentation, elle était aussi utilisée pour les soins du corps et l’éclairage. L’auteur décrit un bâtiment pouvant contenir quatre machines de pressurage et quatre moulins à olives. L’extrait choisi ci-dessous concerne uniquement l’appareil de pressurage. Il s’agit de la description la plus complète du pressoir à levier et à treuil que l’Antiquité nous ait laissée.
Le pressoir décrit est très puissant : on peut estimer sa force de pression sur la maie à environ 10 tonnes. Les forces d’arrachement exercées sur les jumelles et les poteaux du treuil sont compensées par un poids de maçonnerie disposé sur les poutres transversales. Caton préconise en effet de construire un mur au-dessus des poutres et de le lier à la charpente. Le pressoir à levier abaissé par un treuil n’est pas le seul type de pressoir utilisé dans l’Antiquité : le pressoir à levier actionné par une vis et le pressoir à vis directe apparaissent également dans les textes dès le Ier siècle av. J.-C. (Vitruve, De architectura, 6, 6, 3 ; Pline, Naturalis historia, 18, 74, 6-7 (317) ; Héron d’Alexandrie, Mécaniques, 3, 2, 13). Les restes archéologiques de diverses installations réparties dans le monde méditerranéen montrent la grande diversité de solutions techniques adoptées pour les différents types de pressoir. Le système décrit par Caton est confirmé, mais parmi beaucoup d’autres systèmes pour autant qu’on puisse en juger car les parties en bois ne sont généralement pas conservées. Il nous reste des traces dans les maçonneries, les empreintes des jumelles et des poteaux, les supports des maies, les canaux et bassins, quelquefois les jumelles quand elles étaient faites en pierre. Le pressoir décrit par Caton pour l’huile était le même que celui utilisé pour le vin. Ce type de pressoir manuel à levier a continué d’être utilisé jusqu’au XXe siècle. Une reconstitution intéressante et fonctionnelle du pressoir de Caton a été réalisée en France, à Beaucaire, au mas des Tourelles.

Caton, De agricultura 18 (Texte CUF 1975, traduction Ph. Fleury) :

(1) Torcularium si aedificare uoles quadrinis uasis uti contra ora sient, ad hunc modum uasa componito: arbores crassas p. II, altas p. VIIII cum cardinibus; foramina longa p. III S, exculpta digit VI.
(2) Ab solo foramen primum p. I S; inter arbores et [arbores et] parietes p. II; inter II arbores p. I; arbores ad stipitem primum derectos p. XVI ; stipites crassi p. II, alti cum cardinibus p. X; suculam praeter cardines p. VIIII; praelum longum p. XXV; inibi lingulam p. II S. [pauimentum binis uasis cum canalibus duobus p. XXXII, II trapetibus locum dextra sinistra pauimentum p. XX; inter binos stipites uectibus locum p. XXII.]
(3) [alteris uasis exaduersum ab stipite extremo ad parietem qui pone arbores est p. XX. summa torculario uasis quadrinis: latitudine p. LXVI, longitudine p. LII. inter parietes.] Arbores ubi statues fundamenta bona facito alta p. V. Inibi lapides silices. Totum forum longum ped. V, latum p. II S crassum p. I S.
(4) Là, faites un trou pour les deux bases. Placez les jumelles dans la pierre de base. Insérez une pièce de chêne dans l’espace entre les deux jumelles ; scellez-la avec du plomb. Faites en haut des jumelles un tenon d’une hauteur de 6 doigts (11 cm). Enfilez dessus un chapiteau robuste.
(5) Vti siet stipites ubi stent fundamenta p. V facito. Ibi silicem longum p. II S, latum p. II S, crassum p. I S, planum statuito. Ibi stipites statuito item alterum stipitem statuito. Insuper arbores stipitesque trabem planam imponito latam p. II, crassam p. I, longam p. XXXVII (uel duplices indito si solidas non habebis). Sub eas trabes, inter canalis et parietes extremos, ubi trapeti stent, trabeculam pedum XXIIII S imponito sesquipedalem aut binas pro singulis eo supponito.
(6) In iis trabeculis trabes, quae insuper arbores stipites stant, collocato. In iis tignis parietes extruito iungitoque materiae uti oneris satis habeat. Aram ubi facies pedes V fundamenta alta facito lata p. VI. Aram et canalem rutundam facito latam p. IIII S.
(7) Ceterum pauimentum totum fundamenta p. II facito. Fundamenta primum festucato; postea caementis minutis et calce harenato semipedem unumquodque corium struito. pauimenta ad hunc modum facito. Vbi libraueris de glarea et calce harenato primum corium facito. Id pilis subigito. Idem alterum corium facito. Eo calcem cribro subcretam indito alte digitos duo. Ibi de testa arida pauimentum struito. Vbi structum erit, pauito fricatoque, uti pauimentum bonum siet.
(8) Arbores stipites robustas facito aut pineas [si trabes minores facere uoles canalis extra columnam expolito: si ita feceris trabes p. XXII, longae opus erunt.]
.

(1) Si vous voulez construire un pressoir à quatre appareils de manière qu’ils soient face à face, construisez les appareils de la façon suivante : jumelles (B1) d’une épaisseur de 2 pieds (0,59 m), d’une hauteur de 9 pieds (2,66 m) avec les tenons ; mortaises d’une longueur de 3,5 pieds (1,03 m), d’une largeur de 6 doigts (11,1 cm).
(2) La mortaise commence à 1,5 pied (0,44 m) du sol ; entre les jumelles et les murs, il y a 2 pieds (0,59 m) ; entre les deux jumelles 1 pied (0,29 m) ; des jumelles aux poteaux (au droit des faces intérieures) 16 pieds (4,73 m) ; les poteaux sont épais de 2 pieds (0,59m), hauts avec les tenons de 10 pieds (2,96 m) ; le treuil sans les tenons fait 9 pieds (2,66m) ; le presseur est long de 25 pieds (7,39 m) ; son bec fait 2,5 pieds (0,74 m). […]
(3) […] Là où on dressera les jumelles (B1) faites de bonnes fondations profondes de 5 pieds (1,48 m). Mettez-y des pierres dures. La plate-forme dans son ensemble aura une longueur de 5 pieds (1,48 m), une largeur de 2,5 pieds (0,74 m), une épaisseur d’1,5 pied (0,44 m).
(4) Là, faites un trou pour les deux bases. Placez les jumelles dans la pierre de base. Insérez une pièce de chêne dans l’espace entre les deux jumelles ; scellez-la avec du plomb. Faites-en haut des jumelles un tenon d’une hauteur de 6 doigts (11 cm). Enfilez dessus un chapiteau robuste.
(5) Là où se dresseront les poteaux, faites des fondations de 5 pieds (1,48 m). Placez là, de niveau, une pierre longue de 2,5 pieds (0,74 m), large de 2,5 pieds, épaisse d’1,5 pied (0,44 m). Placez-y les poteaux, de la même manière l’un et l’autre. Au-dessus des jumelles et des poteaux, placez de niveau une poutre large de deux pieds (0,59 m), épaisse d’1 pied (0,29 m), longue de 37 pieds (10,94 m) (si vous n’avez pas de pièces de bois d’un seul tenant à cette taille, mettez des poutres jumelées). Sous ces poutres, entre les rigoles et les murs du fond, là où il y a les trapètes, mettez une traverse de 23,5 pieds (6,95 m) épaisse d’1,5 pied (0,44 m) (ou bien mettez-en deux à la place d’une seule).
(6) Sur ces traverses, fixez les poutres qui sont au-dessus des jumelles et des poteaux. Sur ces pièces de bois, construisez des murs et liez-les à la charpente de façon à avoir suffisamment de poids. Là où vous construirez la maie, faites des fondations profondes de 5 pieds et larges de 6 pieds (1,77m). Faites la maie et son canal circulaire d’un diamètre de 4,5 pieds (1,33 m).
(7) Pour tout le reste du pavement, faites des fondations de 2 pieds (0,59 m). Damez d’abord les fondations ; remplissez-les ensuite de couches de petits cailloux et de chaux mêlée de sable d’1/2 pied chacune. Après avoir nivelé, faites d’abord une couche de gravier et de chaux mêlée de sable. Tassez-la à la hie. Faites une autre couche de la même manière. Mettez dessus de la chaux passée au crible sur une épaisseur de 2 doigts (3,7 cm). Construisez le pavement en fragments de tuile sèche . Cela fait, battez-le et polissez-le pour avoir un bon pavement.
(8)Faites les jumelles et les poteaux en chêne ou en pin […]

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Les Romains et l’huile d’olive [3D] - Les Nocturnes du Plan de Rome - 06 oct. 2021
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