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Les insulae de Rome sur France Culture – « Le cours de l’histoire »

  • Dernière modification de la publication :29 octobre 2024
  • Post category: Actualités

Dès le 3ᵉ siècle avant notre ère, des “insulae” prennent la forme d’immeubles à plusieurs étages. De Rome à Ostie, ces habitats collectifs permettent de loger une population romaine de plus en plus nombreuse. En quoi ces lieux nous renseignent-ils sur la vie quotidienne de la plèbe ?

Avec

  • Mathilde Carrive Historienne, maîtresse de conférences en histoire de l’art et archéologie antiques à l’Université de Poitiers
  • Sophie Madeleine Docteure en langues et littératures anciennes, ingénieure de recherche HDR à l’université de Caen Normandie, directrice du Centre interdisciplinaire de réalité virtuelle

Au premier, dans mon HLM, il y a Astérix et Obélix. HLM, Habitations Latines Mélangées, telles qu’elles sont présentées par Goscinny et Uderzo dans Astérix gladiateur, de passage à Rome, en 1964. Les insulae, ces immeubles antiques (mais pas en toc), se retrouvent ensuite dans Le Domaine des dieux, autre aventure d’Astérix et Obélix en 1971. C’est le moment d’une visite immobilière dans les immeubles à Rome.

  • De Rome à Ostie, les “insulae” au centre du tissu urbain

À Rome, les premières attestations d’insulae – immeubles entourés par quatre rues – remontent à la fin du 3ᵉ siècle avant notre ère. “Le mot insula, au départ, désigne une île. Il est ensuite utilisé pour désigner un îlot, au sens urbanistique, avec les rues autour, de même que l’île était entourée par l’eau. Le mot a fini par désigner l’habitat collectif en général”, précise Sophie Madeleine, ingénieure de recherche en analyse de sources anciennes à l’Université de Caen Normandie. Ces immeubles se construisent dans plusieurs grandes villes, principalement à Rome, Ostie et peut-être à Alexandrie.

Les insulae sont des édifices à plusieurs étages dont le nombre d’appartements est variable. À Rome, elles forment le tissu urbain de la ville à côté des monuments publics et des domus, les maisons particulières. Les insulae se répartissent ainsi dans tous les quartiers de la ville, près du forum et dans des quartiers plus populaires tels que Subure. La présence des immeubles est le signe de l’attrait qu’ont les Romains et Romaines pour la ville, qui séduit par la grandiloquence de ses édifices publics : Colisée, Circus Maximus, théâtres et thermes impériaux. Plébéiens et patriciens trouvent ainsi dans l’insula le moyen le plus sûr de se loger. “Il n’y a pas de moyen de transport qui permette de s’éloigner de façon importante du centre-ville. La notion de banlieue, que l’on peut avoir dans nos grandes villes, est moins vraie pour l’Antiquité”, observe Sophie Madeleine.

  • La vie dans une “insula” romaine

Les insulae sont souvent financées et construites par des spéculateurs qui se servent de ces bâtiments pour s’enrichir. Au 1ᵉʳ siècle avant notre ère, le citoyen Crassus spécule en louant des dizaines d’immeubles dans l’urbs romaine. De fait, le pouvoir romain ne participe pas à la construction des insulae, qui s’opère à l’échelle privée. À Rome, les appartements de petite taille sont loués très cher et les derniers étages seraient, parfois, dépourvus d’escaliers et accessibles par des échelles. Selon Sophie Madeleine, “des textes latins racontent que si le locataire ne paye pas son loyer, le propriétaire récupère l’échelle de manière à ce que le locataire ne puisse pas rentrer chez lui tant qu’il n’a pas payé.”

Peu confortables, la plupart des habitants qui louent un appartement n’y restent pas en journée et s’y rendent seulement pour dormir. La vie du citoyen romain s’organise plutôt à l’extérieur de l’édifice, dans les thermes ou dans les boutiques, dites tabernae. L’absence de confort n’empêche pas les insulae d’être ornées par des mosaïques et des pavements colorés sur le sol qui permettent aux loueurs de standardiser les appartements autour de codes esthétiques que les locataires reconnaîtront.

  • À côté de la Rome de marbre, la Rome de brique

Souvent construites dans l’impératif d’être louées, les insulae sont couramment mises en danger par les risques d’incendie. Le feu se propage rapidement dans les immeubles érigés les uns contre les autres et remplis de réserves combustibles. Chaque locataire doit ainsi avoir un seau d’eau pour être prêt à intervenir. “Le bois occupe une place importante dans l’architecture des vestiges d’Ostie, faits de briques et de moellons. On a des planchers superposés, des charpentes de balcons en bois, ainsi que des cloisons internes montées en bois. Une quantité de matériaux peuvent prendre feu à la moindre occasion”, constate Mathilde Carrive, maîtresse de conférences en histoire de l’art et archéologie antiques à l’Université de Poitiers.

En 64, l’incendie de Rome dévaste une grande partie de la ville romaine. Près de 12 000 immeubles sont anéantis. Rome est aussi la proie d’inondations et des crues régulières du Tibre, qui sapent les fondations des immeubles. Loin de nos imaginaires de l’Antiquité, Rome est donc une ville en perpétuel chantier. Il y a systématiquement des bâtiments en ruine et d’autres en train de se reconstruire. Les insulae ne disparaissent pas avec la chute de l’Empire romain et continuent d’exister à travers le temps, notamment à Byzance quand Constantin y installe sa capitale.

  • Pour en savoir plus

Mathilde Carrive est historienne, maîtresse de conférences en histoire de l’art et archéologie antiques à l’Université de Poitiers.

Publication :

  • (co-écrit avec Julien Boislève, Florence Monier), Peintures et stucs d’époque romaine, Ausonius Éditions, 2021

Sophie Madeleine est docteure en langues et littératures anciennes, ingénieure de recherche HDR à l’université de Caen Normandie, directrice du Centre interdisciplinaire de réalité virtuelle.

Publication :

  • Le Théâtre de Pompée à Rome. Restitution de l’architecture et des systèmes mécaniques, Presses universitaires de Caen, 2014