Vis d’Archimède
La vis d’Archimède ainsi nommée du nom de son inventeur présumé est une machine qui permet d’élever une grande quantité d’eau, mais à une faible hauteur.
La vis se compose d’un cylindre placé obliquement, à l’intérieur duquel sont enfermées plusieurs spirales. Lorsque le cylindre tourne, l’eau monte d’une spirale à l’autre jusqu’à l’extrémité supérieure. L’inclinaison du cylindre préconisée par Vitruve selon les règles du triangle de Pythagore est de 37°. Des échelons en bois étaient fixés sur la vis pour qu’elle soit actionnée par un homme marchant dessus. Comme on le voit sur une peinture de Pompéi et sur une terre cuite d’Égypte, il faut supposer l’installation d’une barre horizontale pour que l’opérateur puisse se tenir.
Les témoignages littéraires, papyrologiques et archéologiques attestent son usage dans le monde méditerranéen du IIIe siècle avant J.-C. au IIIe siècle après J.-C. au moins. Après cette époque, elle reste utilisée en Afrique sous les Arabes, mais on perd sa trace en Europe jusqu’à sa réapparition au début du XVe siècle. Vitruve décrit la façon de construire cette vis (De architectura, 10, 6, 1-4).
Coupe schématique de la vis d’Archimède (Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993, fig. 33 p. 162)
La construction de la vis est sophistiquée : elle exige un calcul précis du pas de vis, de l’inclinaison totale de l’ensemble et une réalisation soignée des huit canaux. On peut se demander du reste pourquoi Vitruve fait un si grand nombre de canaux. A la limite un seul suffirait : c’est la solution choisie sur plusieurs vis découvertes en Espagne (Cf. G.F. Hill et H.W. Sandars, « Coins from the neighbourhood of a Roman mine in southern Spain », JRS, 1, 1911, p. 100. L’unique spirale sur ces vis est faite en cuivre et non en osier ou en gattilier, mais cela ne change pas le problème) et celle découverte à la Coronada n’en possédait que quatre. A. G. Drachmann rapproche ce chiffre “huit” des huit compartiments du Tympan , considérant que la vis est un perfectionnement de cette machine par Archimède : pendant un séjour en Égypte, le Syracusain, voyant partout des tympans et se souvenant de ses études sur la vis et la spirale, aurait eu l’idée d’utiliser une vis pour élever l’eau. “Alors, comme il arrive souvent, il a juste modifié un instrument existant et n’est pas arrivé tout de suite au dessin définitif avec une seule spirale (A.G. Drachmann, The mechanical technology of greek and roman Antiquity. A study of the literary sources (Acta hist. scient. nat. et med., 17), Copenhague, Munksgaard, 1963, p. 154). A vrai dire le chiffre huit n’est pas obligatoire non plus dans le cas du Tympan , mais, comme il s’agit de partager une circonférence en compartiments égaux, les séparations en quatre et en huit sont commodes et il est probable en effet que lorsqu’on est passé des roues à la vis, on a maintenu cette multiplication des compartiments sans se rendre compte tout de suite qu’elle n’était pas nécessaire. La spirale unique est un perfectionnement (et pas seulement une simplification) en ce sens qu’elle permet un pas plus serré et donc une inclinaison plus grande de la machine. Ce perfectionnement est sûrement lié à l’utilisation du cuivre qui se prête mieux à une courbure plus serrée que les baguettes de bois et il est peut-être dû aux ingénieurs des mines de cuivre espagnoles. La vis a connu également d’autres perfectionnements, notamment dans ce que l’on appelle parfois la “vis hollandaise” : la spirale n’est pas recouverte de planches de bois comme celle de Vitruve, mais elle tourne dans un demi-cylindre fixe placé sous elle. Il y a bien sûr une perte d’eau à la jointure entre la spirale et le demi-cylindre, mais la machine est beaucoup plus facile à tourner puisqu’elle est allégée du poids des planches de couverture.
D’après Vitruve le rapport entre le diamètre du cylindre central (autour duquel sont fixées les spires) et la longueur totale de la vis est de 1 à 16 puisque « l’on donne à cette pièce (le cylindre central) autant de doigts d’épaisseur que de pieds de longueur ». Or ces mesures sont confirmées par les vis découvertes à Sotiel Coronada où le diamètre du noyau central est égal à 22 cm pour une longueur totale de 3,60 m, soit un rapport de 1/16,36 environ.
L’inclinaison préconisée par Vitruve selon les règles du triangle de Pythagore est d’environ 37°. Cet angle doit être obligatoirement moindre que celui de la tangente à l’hélice avec la base du cylindre qui est de 45° d’après la construction indiquée précédemment par Vitruve (A. Terquem, La science romaine à l’époque d’Auguste. Étude historique d’après Vitruve, Paris, Alcan, 1885, p. 85). Dans les faits l’inclinaison était adaptée aux besoins (plus elle était forte, moins le débit était important), mais aucune installation actuellement retrouvée ne montre un angle supérieur à 37°. Dans la mine de Sotiel Coronada l’inclinaison est de 15°, dans celle de Centenillo (Linares), elle est de 30° (mais l’angle de l’hélice lui-même n’est que de 40°).
Vitruve indique le même mode de propulsion pour cette machine que pour les roues (Les indications – curieusement concordantes – de Rich (s.u. coclea) et de Dar.-Sag. (I, 2 p. 1265 s.u. coclea) selon lesquelles ces cylindres étaient mûs par un cheval ou une roue à bras, sont, à notre connaissance, sans fondements) : cocleae hominibus calcantibus faciunt uersationes, « Les vis tournent grâce au mouvement des pieds ». L’inclinaison de l’ensemble a gêné certains commentateurs qui supposent un système de tambour assez compliqué pour permettre aux hommes de marcher sur un plan horizontal (L’architecture, éd. et trad. par C. Maufras, Paris, Panckoucke, 1847, fig. 11 p. 84); C’est oublier que cette inclinaison n’est pas si forte puisque c’est celle préconisée par Vitruve au livre IX pour la construction des escaliers (Vitr. 9, praef. 7 : “cette méthode (le triangle de Pythagore), souvent utile pour bien des mesures, est commode également pour la construction des escaliers dans les bâtiments : elle permet de donner aux marches des dispositions convenables”. Sur le triangle de Pythagore chez Vitruve, voir J. Soubiran, Vitruve, Livre IX, CUF, Paris, Les Belles Lettres, 1969, comment. ad loc. p. 48-51). Elle ne peut pas gêner la manœuvre d’échelons comme sur les roues. Du reste la peinture de Pompéi et la terre cuite d’Égypte (La peinture de Pompéi est à interpréter avec beaucoup de réserves car son auteur n’avait manifestement pas un grand souci d’exactitude : l’engin est représenté horizontal au lieu d’être oblique, le filet d’eau sort du centre au lieu de sortir du bord, etc) qui représentent un homme manœuvrant une vis, le montrent debout directement sur la vis. Sur la terre cuite d’Égypte on remarque simplement des degrés pratiqués sur la circonférence du cylindre. En revanche on distingue, sur ces représentations, une barre horizontale à laquelle se tient l’opérateur. Il faut supposer l’existence de cette barre dans tous les systèmes précédents, malgré le silence de Vitruve sur ce point.
Vitruve, De architectura, 10, 6, 1-4 :
Tignum sumitur, cuius tigni quanta paratur pedum longitudo tanta digitorum expeditur crassitudo. Id ad circinum rotundatur. In capitibus circino diuidentur circumitiones eorum tetrantibus et octantibus in partes octo, eaeque lineae ita conlocentur ut, plano posito tigno, utriusque capitis ad libellam lineae inter se respondeant, et quam magna pars sit octaua circinationis tigni, tam magna spatia decidantur in longitudinem. Item, tigno plano conlocato, lineae ab capite ad alterum caput perducantur ad libellam conuenientes. Sic et in rotundatione et in longitudine aequalia spatia fient. Ita quo loci describuntur, lineae quae sunt in longitudinem spectantes facient decusationes et in decusationibus finita puncta. His ita emendate descriptis, sumitur salignea tenuis aut de uitice secta regula, quae uncta liqida pice figitur in primo decusis puncto. Deinde traicitur oblique ad insequentes longitudinis et circumitionis decusis ; item ex ordine progrediens singula puncta praetereundo et circum inuoluendo conlocatur in singulis decusationibus, et ita peruenit et figitur ad eam lineam, recedens a primo in octauum punctum, in qua prima pars est eius fixa. Eo modo quantum progreditur oblique spatium et per octo puncta, tantundem et longitudine procedit ad octauum punctum. Eadem ratione per omne spatium longitudinis et rotunditatis singulis decusationibus oblique fixae regulae per octo crassitudinis diuisiones inuolutos faciunt canales et iustam cocleae naturalemque imitationem Ita per id uestigium aliae super alias figuntur unctae pice liquida, et exaggerantur ad id uti longitudinis octaua pars fiat summa crassitudo. Supra eas circumdantur et figuntur tabulae quae pertegant eam inuolutionem. Tunc eae tabulae pice saturantur et lamminis ferreis conligantur, ut ab aquae ui ne dissoluantur in capitibus utraque parte habentia transuersaria confixa. In his foramina ferrea sunt inclusa inque ea inducuntur styli ; et ita cocleae hominibus calcantibus faciunt uersationes. Erectio autem eius ad inclinationem sic erit conlocanda uti, quemadmodum Pythagoricum trigonum orthogonium describitur, sic id habeat responsum, id est uti diuidatur longitudo in partes V, earum trium extollatur caput cocleae ; ita erit ab perpendiculo ad imas naris spatium earum partium IIII…
On prend une pièce de bois (A), et l’on donne à cette pièce autant de doigts d’épaisseur que de pieds de longueur. On l’arrondit au compas. Aux extrémités, on divisera au compas la circonférence, par quadrants et octants, en huit segments et les lignes seront situées de telle sorte que, la pièce de bois étant sur un plan horizontal, les lignes de chaque extrémité se correspondent au même niveau; on doit aussi partager la longueur en intervalles dont la mesure sera égale au huitième de la circonférence de la pièce. Puis, la pièce de bois étant disposée horizontalement, on doit conduire des lignes d’une extrémité à l’autre, en respectant le niveau. On obtiendra de cette manière, sur le pourtour comme en longueur, des divisions égales. Sur leur tracé, les lignes orientées dans le sens de la longueur formeront alors des intersections, et aux intersections des points déterminés. Une fois ces marques ainsi portées correctement, on prend une baguette fine en osier, ou coupée sur un gattilier, on l’enduit de poix liquide et on la fixe au premier point d’intersection. On la conduit ensuite, en diagonale, sur les intersections successives que font les lignes de la longueur et celles du pourtour; de proche en proche, en passant par chacun des points et en s’enroulant sur le cylindre, elle s’applique alors à chacune des intersections; elle parvient et elle est fixée ainsi, allant du premier jusqu’au huitième point, à la ligne où son extrémité de départ se trouve fixée. De cette manière, elle est portée aussi loin en longueur, jusqu’au huitième point, qu’elle s’avance en diagonale et par huit points. Suivant la même méthode, on fait passer par chaque intervalle de la longueur et du pourtour, en les fixant obliquement à chacune des intersections, des baguettes qui, sur les huit divisions du corps du cylindre, forment des canaux spiralés, imitation exacte et naturelle du limaçon. Sur ce tracé, on fixe ainsi, les unes sur les autres, des baguettes (B) enduites de poix liquide, et on les superpose jusqu’à ce que l’épaisseur totale atteigne le huitième de la longueur. Au-dessus des baguettes et les entourant, des planches (C) sont fixées qui servent à recouvrir le tour de spire. Ces planches sont alors imprégnées de poix et liées par des bandes en fer (D), de manière que la pression de l’eau ne les disjoigne pas. Les extrémités (E) de la pièce de bois sont ferrées. A droite encore et à gauche de la vis, on établit des pièces de bois (F) qui ont des traverses (G) fixées, de part et d’autre, aux extrémités; des douilles de fer y sont encastrées qui reçoivent elles-mêmes les pivots; et la vis, que des hommes actionnent avec leurs pieds, accomplit ainsi ses révolutions. Elle devra être établie en hauteur avec un angle d’inclinaison qui, conformément à la figure du triangle rectangle de Pythagore, ait le rapport suivant, à savoir: pour une division de la longueur en cinq parties, l’élévation du sommet de la vis doit être de trois de ces parties; la distance entre la verticale et les orifices du bas sera ainsi de quatre de ces parties. (Traduction Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993).