En 357 ap. J.-C., Constance II fait dresser un obélisque égyptien de 510 tonnes sur la spina du Grand Cirque.
Dans le monde romain, les cirques étaient principalement destinés aux courses de chevaux ou de chars qui remportaient un grand succès. La tradition attribue la construction du Grand Cirque à Tarquin l’Ancien (Tite Live 1, 35, 7-9 ; Denys d’Halicarnasse, 3, 68, 1), à Tarquin le Surperbe (Tite Live 1, 56, 2 ; De Viris Illustribus 8, 3) ou aux deux (Denys d’Halicarnasse 3, 68, 1)…
En 10 av. J.-C., on érigea sur la spina un premier obélisque, le grand obélisque de Ramsès II, aujourd’hui Piazza del Popolo. En 357 ap. J.-C., un second obélisque, celui de Thoutmosis III de Thèbes, d’une hauteur de 32,50 m, fut installé par Constance II. Il se trouve aujourd’hui sur la place St-Jean-de-Latran.
Les obélisques ont en Egypte une signification religieuse. Ils représentent le rayon du dieu soleil Re. Ils sont élevés par paires dans les sanctuaires. Ce sont des monolithes, c’est-à-dire qu’ils sont taillés dans un seul bloc de pierre, généralement du granite. Leur poids est donc considérable.
L’importation des obélisques égyptiens à Rome a commencé quand l’Egypte est devenue romaine, après la bataille d’Actium en 31 av. J.-C. Auguste fut le premier à en faire venir. C’était à la fois un symbole de conquête et un exploit technique montrant la puissance romaine. La grande période d’importation des obélisques à Rome va d’Auguste à Hadrien, c’est-à-dire de la fin du Ier siècle av. J.-C. au milieu du IIe siècle ap. J.-C., avec une concentration particulière à l’époque de Domitien, à la fin du Ier siècle ap. J.-C. : au moins la moitié des importations d’obélisques date de son règne.
Quatorze obélisques ont été retrouvés (il y en avait probablement plus). Aucun n’est aujourd’hui à la place qu’il occupait dans l’Antiquité. Tous, sauf celui de Caligula (aujourd’hui place Saint Pierre), ont été abattus et la plupart brisés. Mais ils ont tous été restaurés et redressés (13 à Rome, 1 à Florence dans les jardins de la villa Boboli). Leur installation à leur place actuelle s’est échelonnée entre le XVIe et le XIXe siècle.
L’obélisque érigé par Constance II fait figure d’exception à triple titre :
– Il a été importé très tardivement : au milieu du IVe siècle ap. J.-C., c’est-à-dire après deux siècles d’interruption.
– C’est de loin le plus grand obélisque de Rome. Avec ses 32 m, il dépasse de 7 m le deuxième plus grand après lui, celui de Caligula.
– C’était un obélisque unique à Karnak au sens propre alors que généralement les obélisques étaient installés par paires en Egypte.
Pour l’histoire de cet obélisque, nous avons la chance de posséder des sources textuelles et archéologiques conséquentes. En effet Ammien Marcellin, un historien du IVe siècle, est contemporain de l’événement, et il nous raconte l’opération de bout en bout, à commencer par la prise de décision en 357 ap. J.-C., lors de la visite de Constance à Rome.
Amm. 16, 10, 17 : « Après une longue délibération sur ce qu’il ferait dans la Ville, il [Constance II] résolut d’ajouter à ses ornements en érigeant, au Cirque Maxime, un obélisque ».
En 358 p.C., alors que l’Auguste Constance II séjourne à Sirmium et que le César Julien rétablit en Gaule une situation qui s’était détériorée avec les guerres civiles et les menaces barbares, on met la décision à exécution :
Amm. 17, 4, 1 : « … à Rome, pendant qu’Orfitus exerçait encore sa seconde préfecture, on éleva au Grand Cirque un obélisque ».
Ammien précise le lieu où a été pris l’obélisque :
Amm. 17, 4, 6 : « Dans cette ville [= Thèbes], parmi d’immenses bassins et diverses masses de pierre représentant les divinités égyptiennes, nous avons vu plusieurs obélisques, certains même abattus et tronqués ».
Pour Ammien, la motivation de Constance est l’orgueil : il voulait faire aussi bien que le premier empereur, Auguste.
Amm. 17, 4, 12 : « Les flatteurs qui gonflaient l’orgueil de Constance selon leur habitude bourdonnaient sans cesse qu’Octavien Auguste avait bien fait transporter deux obélisques depuis la ville égyptienne d’Héliopolis, – l’un se trouve au Grand Cirque , l’autre au Champ de Mars , – mais qu’effrayé par les difficultés qu’entraînait sa taille, il n’avait osé ni toucher ni déplacer l’obélisque qui a été transporté de nos jours ».
Aussitôt, Ammien, qui n’aime pas Constance, polémique :
Amm. 17, 4, 12 : « Je veux apprendre à ceux qui l’ignorent que, si ce prince du passé [Auguste], après avoir fait amener d’autres obélisques, ne voulut pas toucher à celui-ci, c’est qu’il était consacré au dieu-Soleil en offrande particulière et fixé dans le sanctuaire inaccessible d’un temple imposant, où il se dressait comme le sommet de l’ensemble ».
En fait, il s’agit d’un projet du père de Constance, Constantin, qui avait déjà commencé l’opération.
Amm. 17, 4, 13 : « Constantin, qui accordait peu d’importance à ce motif, fit arracher cette masse à ses fondations et pensa avec raison qu’il ne commettait aucun sacrilège en enlevant une merveille à un temple pour la consacrer à Rome, c’est à dire dans le temple de tout l’univers ; mais il la laissa longtemps reposer à terre, tandis qu’on faisait les apprêts nécessaires au transport. Quand elle eut été convoyée par le lit du Nil et débarquée à Alexandrie, on construisit un navire d’une grandeur jusque-là inusitée et dont la manœuvre exigeait 300 rameurs ».
Constantin est mort en 337 p.C. et le projet fut abandonné. C’est donc 20 ans après que Constance le reprend, probablement avec le bateau construit par son père :
Amm. 17, 4, 14 : « L’obélisque fut embarqué, et traversant les mers et les flots du Tibre (…), il débarque au faubourg d’Alexandre, que trois milles séparent de la ville ; puis il est placé sur des rouleaux, tiré doucement par la Porte d’Ostie ».
Nous avons la chance de disposer aussi pour l’histoire de cet obélisque de sources archéologiques à son point de départ, c’est-à-dire dans le sanctuaire de Karnak. La construction de ce sanctuaire s’était étendue sur près de 2000 ans de l’époque du moyen-empire (XIXe – XVIIIe siècles av. J.-C.) jusqu’à l’époque ptolémaïque, en en faisant ainsi un des complexes religieux les plus vastes du monde.
En fait, Les ingénieurs romains de Constantin vont enlever et transporter jusqu’à Alexandrie, vers 330 ap. J.-C., deux obélisques qui étaient destinés à la nouvelle capitale, Constantinople : l’obélisque unique que Constance II installera à Rome 28 ans plus tard et l’obélisque qui était devant le VIIe pylone, qui attendra encore plus longtemps sur la plage d’Alexandrie, puisque c’est l’empereur Théodose qui le fera transporter, lui, à sa destination première, c’est-à-dire Constantinople (où il est toujours en place). Les fouilles menées devant le VIIe pylone en 1974 par Michel Azim avec notamment Robert Vergnieux, ont permis de comprendre le système d’abatage romain de l’obélisque. Les fouilles n’ont pas encore pu être menées avec la même précision au pied de l’obélisque unique mais l’on peut supposer qu’un système analogue a été mis en place. Les traces encore visibles montre que les ingénieurs de Constantin ont combiné la technique égyptienne des terrasses en brique et terre et la technique romaine des échafaudages en bois. Des portiques en bois ont en effet été construits sur une base en terre et en briques. L’opération va être un véritable ravage pour le sanctuaire d’Amon-Rê à Karnak. Une fois les obélisques abattus il a fallu les faire glisser jusqu’au Nil, certainement sur une glissière de limon mouillé selon la technique égyptienne. Pour faire passer cette glissière les ingénieurs romains ont abattu un certain nombre de murs du sanctuaire qui n’ont jamais été rebâtis ensuite. Ils ont arasé des bâtiments et on voit que les fondations d’un de ceux-ci se sont affaissées sous le poids de l’obélisque de 500 tonnes. Ils ont fait également des évidements dans des murs chargés de gravures, certainement pour faire passer et pour attacher les câbles de leurs palans…