Chèvre à palan double et à tambour

Cette machine permet de lever des charges importantes pour la construction des édifices sacrés et des bâtiments publics (les maisons des simples particuliers, construits en petit appareil, ne nécessitent pas en général l’emploi d’engins de levage puissants).

Dans son De architectura (Vitr. 10, 2, 5-7), Vitruve décrit des machines qu’il connaît pour les avoir probablement utilisées sur des chantiers dont il était chargé et pour les avoir vues fonctionner. Dans la configuration décrite par l’auteur, la machine pourrait élever jusqu’à 20 tonnes mais cette capacité est limitée par la résistance des câbles (compter environ une tonne par câble, mais rien n’empêche de les multiplier).

Chèvre à palan double et à tambour (Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993, fig. 14 p. 105)

L’armature de cette machine est la même que celle de la chèvre à palan simple, il faut simplement proportionner les montants aux charges à lever. Le palan n’est pas fondamentalement différent non plus dans son principe, mais il est double, c’est-à-dire que chaque réa est doublé de manière qu’il y ait deux cordes de traction au lieu d’une ; cela est lié à l’augmentation de la puissance motrice dans ce type de machine ; rien ne sert d’augmenter la force d’entrée si les capacités du câble de traction ne suivent pas. Déjà avec un treuil auquel est appliquée une force motrice de 100 kg, l’effort demandé au câble de traction peut être de l’ordre de 1000 kg (en prenant pour hypothèse un axe de 15 cm et des leviers de 75 cm). Les auteurs modernes ne s’accordent pas sur les capacités des cordes de chanvre anciennes (J. P. ADAM, « A propos du trilithon de Baalbek, le transport et la mise en œuvre des mégalithes », Syria, 54, 1977, 1, p. 38, fig. 4 estime à 500 kg la résistance d’un câble de 2 cm de diamètre, à 2000 kg, celle d’un câble de 4 cm ; J.W. SHAW, « A double sheaved pulley-block from Kenchreai », Hesperia, 36, 4, oct.-déc. 1967, p. 401 n. 24 : 540 kg pour un câble de 3 cm ; F. Kretzschmer, La technique romaine, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1966 (1958) p. 24 donne le chiffre de 400 kg sans préciser de diamètre), mais ce chiffre est généralement le maximum cité. Or, et c’est là la différence essentielle avec la machine précédente, Vitruve veut encore augmenter la force motrice, en la faisant passer à des chiffres de l’ordre de 200 à 350 kg (200 kg pour quatre paires d’hommes appliqués à un cabestan, 350 kg pour le poids de cinq hommes dans une roue d’écureuil), ce qui peut se traduire théoriquement par des forces de 2 000 à 20 000 kg à l’entrée du palan, comme nous le verrons plus loin. Une seule corde de chanvre ne peut supporter de telles forces, il est donc nécessaire de la doubler (voire même de la tripler ou plus) et pour cela d’utiliser un palan double. La différence fondamentale entre cette machine et la précédente est donc l’augmentation de la puissance à l’entrée du palan (la puissance de sortie dépendant uniquement du nombre de poulies pour un câble dans le palan).

Vitruve 10, 2, 5-7 :

Sin autem colossicotera amplitudinibus et ponderibus onera in operibus fuerint, non erit suculae committendum, sed quemadmodum sucula chelonis retinetur, ita axis includatur habens in medio tympanum amplum quod nonnulli rotam appellant, Graeci autem amphêrên, alii perithêkion uocant. In his autem machinis trocleae non eodem, sed alio modo comparantur. Habent enim et in imo et in summo duplices ordines orbiculorum. Ita funis ductarius traicitur in inferioris trocleae foramen uti aequalia duo capita sint funis, cum erit extensus, ibique secundum inferiorem trocleam resticula circumdata et contenta utraeque partes funis continentur, ut neque in dextram neque in sinistram partem possint prodire. Deinde capita funis referuntur in summa troclea ab exteriore parte et deiciuntur circa orbiculos imos et redeunt ad imum coiciunturque infimae trocleae ad orbiculos ex interiore parte et ad caput circa orbiculos summos redeunt. Traiecti autem ab exteriore parte feruntur dextra sinistra tympanum in axe ibique ut haereant conligantur. Cum autem, circa tympanum inuolutus, alter funis refertur ad ergatam, et is circumactus tympanum et axem , se inuoluendo pariter extendunt, et ita leniter leuant onera sine periculo. Quodsi maius tympanum conlocatum aut in medio aut in una parte extrema fuerit, sine ergata calcantes homines expeditiores habere poterunt operis effectus.

S’il y a cependant sur les chantiers des charges vraiment colossales par leurs dimensions et leurs poids, on ne devra pas se fier à l’arbre de treuil, mais, de la même façon que l’arbre de treuil est tenu par les paliers (A),on encastrera ainsi un axe (B), ayant en son milieu un grand tambour (C) que certains appellent roue et que les Grecs nomment amphêrên ou encore perithêkion. Dans ces machines, par ailleurs, les chapes (D-G) sont agencées d’une manière qui n’est pas identique, mais autre. Elles ont en effet, en haut comme en bas, leurs poulies couplées (E). On fait passer la corde de traction (J) dans l’anneau de la chape inférieure~ d’une façon telle que les deux extrémités de la corde soient égales lorsqu’elle sera tendue; et là, au départ de la chape inférieure, les deux parties de la corde sont maintenues par une attache (F) qui les enserre étroitement, de manière qu’elles ne puissent s’écarter ni à droite, ni à gauche. On ramène ensuite, par l’extérieur, les deux extrémités de la corde jusqu’à la chape du haut (D), on les fait tomber et s’enrouler sur les poulies inférieures, puis elles reviennent vers le bas, on les fait aller, par l’intérieur, jusqu’aux poulies de la chape la plus basse (G) et elles reviennent jusqu’au faîte, autour des poulies les plus hautes. Après les avoir fait passer par l’extérieur, on les amène, à droite et à gauche du tambour, sur l’axe et on les fixe là en les attachant. Et quand une autre corde (H), enroulée autour du tambour, est ramenée à un cabestan (I) et que celui-ci, mû circulairement, fait tourner le tambour et l’axe, elles se tendent également en s’enroulant et, doucement, soulèvent ainsi les charges sans danger. Si toutefois un tambour plus grand a été installé, soit au milieu, soit à une extrémité, des hommes l’actionnant avec leurs pieds pourront, sans cabestan, réaliser plus promptement le travail. (Traduction Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993).

Mouffle de Kenchréai - Clichés Sophie Madeleine, 2015Mouffle de Kenchréai - Clichés Sophie Madeleine, 2015
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Chèvre à palan double et à tambour - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011Chèvre à palan double et à tambour - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011
Moufle inférieure - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011Moufle inférieure - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011
Moufle supérieure avec des poulies couplées - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011Moufle supérieure avec des poulies couplées - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011
Mise en situation sur les quais de Rome - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011Mise en situation sur les quais de Rome - Infographie : Alexandre François - Dossier scientifique : Philippe Fleury, 2011
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