Mantelet

Dans le chapitre 8 de De rebus Bellicis, l’auteur, anonyme, décrit le tichodifrus que l’on peut assimiler à un mantelet. C’est un système de protection mobile pour préparer l’assaut d’un rempart.

L’Anonyme appelle cette machine tichodifrus. Le mot, composé de τεῖχος, « rempart », et de δίφρος, « chariot », n’est connu que par le De rebus bellicis, où il est employé six fois. Il s’agit d’une sorte de mantelet, c’est-à-dire d’un parapet léger utilisé par les soldats pour se protéger des projectiles lancés par l’ennemi. Essentiellement présent dans les opérations de siège, le mantelet est connu sous le nom de pluteus chez César, Ammien Marcellin ou Végèce. Le mantelet du De rebus bellicis est composé de deux claies (crates) superposées. Il est garni de pointes et monté sur roues. C’est encore dans ces détails que l’Anonyme est original. Chez aucun autre auteur, nous ne retrouvons mention de mantelets équipés de « tridents et de lances » (fuscinis et lanceis). Ces différentes pointes ont certainement pour objectif d’empêcher l’ennemi d’inverser le rôle des mantelets en les utilisant pour sa propre protection. Les pointes frontales l’empêchent de se plaquer contre la face avant du mantelet, les pointes latérales l’obligent à se découvrir avant d’attaquer les hommes abrités du côté de la face arrière. En ce qui concerne les roues, rien n’indique que les mantelets mentionnés par César ou Ammien Marcellin en soient équipés, même si cela reste une possibilité (La mention d’Amm. 21, 12, 6 : Pluteos […] prae se ferentes – ou praeferentes ou efferentes, suivant les éditions – oppugnatores, semble plutôt indiquer l’action de « porter »). Quant aux mantelets de Végèce, ils sont montés sur trois roues, et non deux (Veg., mil. 4, 15, 5). La définition donnée du pluteus par Isidore de Séville au VIIe siècle ne fait état ni de pointes ni de roues (Isid., orig. 18, 11, 3 ).

De rebus bellicis, 8, 1-4 (texte établi et traduit par Philippe Fleury, Paris, Les Belles Lettres, 2017)

Expositio tichodifri

1 Tichodifrus quod est genus machinae ex rei suae commoditate, Graeca appellatione, uocabuli sumpsit exordium, eo quod per hunc facilior in murum paretur ascensus, ante ballistae semper ducendus incessum, quo protectior eadem ballista operetur. 2 Erit ergo huius quoque compositio uel fabrica utili et commoda inuentione praeparanda. 3 Ergo hic idem tichodifrus non altior sed humilior fabricatur, ut intra se possit latenter incedentium celare uestigia : qui, duabus superimpositis cratibus fixoriisque confixis, intra se tectos ab omni incursione defendit, duabus sane rotis ad promouendam machinam latenter impulsus. 4 Cuius axium extremitates et frons nec non et superior latitudo fuscinis et lanceis armatur diligenter aptatis, ne aggrediendi cuiquam per uacantia defensore loca, id est superiorem partem, tribuatur facultas.XVII. Description du tichodifrus

1 Le tichodifrus est un type de machine qui a tiré son nom – une appellation grecque – de l’usage qui en est fait, parce qu’il permet de préparer plus facilement l’escalade d’un rempart ; il faut toujours le faire avancer devant une baliste en mouvement, pour que celle-ci soit mieux protégée quand elle est en action. 2 Son montage, ou plutôt sa fabrication, devra donc aussi être d’une conception efficace et pratique. 3 Il ne faut pas faire ce tichodifrus trop haut, mais il doit descendre assez bas pour pouvoir cacher les pieds de ceux qui avancent en se tenant à couvert derrière : avec ses deux claies superposées et les pointes qui sont fixées dessus, il défend contre toute attaque ceux qui se protègent derrière ; il est naturellement mis en branle à l’aide de deux roues qui permettent de faire avancer la machine sans qu’on les voie. 4 L’extrémité de leurs axes, le devant de la machine ainsi que le côté supérieur sont garnis de tridents et de lances soigneusement fixés, afin de n’offrir à personne la possibilité d’attaquer par un endroit laissé sans défense, c’est-à-dire par l’avant.

Un mantelet dessiné dans le manuscrit Parisinus (Paris, BNF, Latin. 9661 - Le De Rebus Bellicis y occupe les f. 53v-63r)Un mantelet dessiné dans le manuscrit Parisinus (Paris, BNF, Latin. 9661 - Le De Rebus Bellicis y occupe les f. 53v-63r)
Le mantelet et le bouclier à pointes décrits dans le De rebus bellicis - Infographie Charlie Morineau - Dossier scientifique Philippe FleuryLe mantelet et le bouclier à pointes décrits dans le De rebus bellicis - Infographie Charlie Morineau - Dossier scientifique Philippe Fleury
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