Les marchés de Trajan jouxtent le forum éponyme. Ils abritent aujourd’hui le musée des forums impériaux.
Les Marchés de Trajan ont deux particularités étonnantes : 1. aujourd’hui c’est, avec le Colisée , un des éléments les plus visibles et les plus imposants du centre de la Rome antique alors que dans l’Antiquité ils étaient cachés et quasiment invisibles (ils resteront cachés du reste jusqu’à une époque très récente) ; 2. ils portent un faux nom : ce ne sont pas des marchés…
L’histoire des marchés de Trajan commence avec une histoire de place dans tous les sens du mot. A l’époque républicaine, Rome, comme toutes les villes romaines, a un seul forum, centre politique, administratif et religieux de la cité. Il est aménagé dans une dépression à peu près plate entre le Palatin , le Capitole et le Quirinal. A la fin de la période républicaine, Rome est devenue la capitale d’un vaste empire et le vieux forum est devenu insuffisant pour ses fonctions de représentation et d’administration. César, le premier, construit un nouveau forum, puis c’est le tour d’Auguste, celui de Vespasien et enfin celui de Domitien, son fils, mais comme sa mémoire est condamnée, le forum porte le nom de son successeur, Nerva. Voilà la situation à la fin du Ier siècle ap. J.-C. : tout le terrain plat est occupé. Or Domitien qui voulait, semble-t-il créer un forum supplémentaire, conçoit le projet fou d’entailler le flanc ouest de la colline du Quirinal. Ce projet sera repris par l’un de ses successeurs, l’empereur Trajan. Le travail commandé par Trajan revint en fait à supprimer toute une crête rocheuse qui reliait le Capitole et le Quirinal et qui n’avait qu’un point bas au niveau du monument actuel de Victor Emmanuel, sorte de petit col qui mettait en relation la zone des forums et celle du Champ de Mars. L’ancienne muraille de Rome, la Muraille Servienne , construite probablement au VIe siècle av. J.-C., refaite au IVe siècle av. J.-C. et qui entourait les sept collines sur un périmètre beaucoup plus restreint que la muraille aurélienne construite à la fin du IIIe s. ap. J.-C., passait sur cette crête rocheuse. Une porte permettait de la franchir au niveau du petit col : la porta Fontinalis. Il n’est pas facile aujourd’hui de se rendre compte de la profondeur de l’entaille, car le niveau de la via dei Fori Imperiali qui traverse d’un bout à l’autre l’ensemble des Forums Impériaux est à environ 5 m au-dessus du niveau antique du sol des forums, mais nous avons au moins deux points de repère pour retrouver le tracé de l’ancienne pente. Le premier point de repère est au pied du monument de Victor Emmanuel II : il s’agit de vestiges de la porta Fontinalis. Le deuxième point de repère est la Torre delle Milizie, construite au Moyen Age, qui est fondée sur le sol naturel de la colline du Quirinal. La pente entre ces deux points était à peu près régulière. Le sommet de la colonne Trajane (qui n’est pas comprise dans la zone excavée, mais qui est juste en bordure) marque un point intermédiaire. Elle mesure 40 m de haut et l’inscription dédicatoire sur la base de la colonne se termine par cette formule :
« Le sénat et le peuple romain, à l’imperator César Nerva Trajan, fils du divin Nerva, Auguste, germanique, dacique, grand pontife, investi de la puissance tribunitienne pour 17e fois, imperator pour la 6e fois, consul pour la 6e fois, Père de la patrie, pour faire savoir de quelle hauteur la colline et l’endroit ont été excavés par de si grands travaux. »
Cette excavation fut un travail extraordinaire : on estime à 316 000 m3 le cubage des matériaux enlevés sans compter le cubage des édifices détruits qui n’est pas mesurable. Cela représente 52 600 journées de travail, soit une année de travail pour 200 ouvriers qui ne travaillent pas plus de 300 jours dans l’année. Si l’on ajoute les porteurs de paniers et les conducteurs de charrette pour transporter les matériaux, il faut compter entre 800 et 1200 personnes par jour sur le chantier.
Les estampilles des briques trouvées dans les niveaux les plus bas nous apprennent que les travaux ont commencé sous Domitien, à la fin de son règne, dans les années 93-96 ap. J.-C. Le projet de Domitien, une grande place bordée par un nymphée monumental semble-t-il, a été repris et complètement modifié par Trajan qui en confia la réalisation à son ingénieur Apollodore de Damas connu par ailleurs pour un ouvrage de poliorcétique, c’est-à-dire la prise des villes avec des machines. Pour soutenir l’entaille faite dans la colline et pour l’habiller, il fallait, au minimum, construire un immense mur. Les ingénieurs de Trajan ont fait mieux : ils ont créé un colossal complexe étagé comme les gradins d’un théâtre, avec des espaces à usages divers.
Pour simplifier, nous pouvons distinguer quatre grands espaces dans la structure de soutien : le grand hall, le corps central, la via Biberatica, le grand hémicycle.
Le Grand Hall aujourd’hui est à la fois l’endroit par où l’on entre dans le musée et par où l’on accède au site archéologique. Dans l’Antiquité, c’était aussi l’une des entrées du complexe, mais il donnait sur une rue beaucoup plus étroite qu’aujourd’hui et la façade extérieure a été très endommagée. L’intérieur en revanche est étonnamment bien conservé avec l’ensemble de son élévation et sa couverture d’origine, même si tous les encadrements des portes et des petites fenêtres au-dessus appartiennent à la restauration des années 30. Son aspect général semble indiquer qu’il était destiné à un usage public. C’était probablement un lieu de conservation d’archives qui devait aussi accueillir des cérémonies officielles.
Le corps central, comme le grand hall, fait partie des rares édifices de la Rome ancienne dont on possède l’élévation originelle. Les actuels passages entre les trois niveaux du grand hall et les trois niveaux correspondants du corps central ne sont pas d’origine : ce sont des brèches ouvertes ultérieurement. Dans l’Antiquité tous les accès se faisaient par la via Biberatica ou par la rue qui longe les marchés au nord-est. L’extrémité méridionale, aujourd’hui partiellement détruite devait se raccorder par le grand arc qui traverse la via Biberatica au parcours de service qui courrait au-dessus des boutiques surmontant le grand hémicycle. La monumentalité du grand puits de lumière au centre fait penser que c’était sûrement le cœur administratif du complexe et le siège du procurator Fori Traiani, chargé de gérer l’activité du forum de Trajan.
La via Biberatica est un peu comme le maenianum, le replat qui, dans un théâtre, sépare les gradins du bas des gradins du haut. Dans les Marchés de Trajan elle sépare le grand hall et le corps central, qui forment la partie haute de l’entaille dans la colline, de la partie basse formée du Grand Hémicycle. Cette voie mettait en relation le quartier de Subure et le champ de Mars. Elle ne pouvait être utilisée par les chars parce que, du côté de Subure , elle est terminée par des escaliers. Cela explique que l’on ne voit pas de traces de roues de char sur les dalles de basalte alors que beaucoup d’entre elles sont encore à leur emplacement d’origine. L’appellation actuelle via Biberatica date du Moyen-Age. On ne connaît pas le nom porté par la rue dans l’Antiquité. Biberatica pourrait dériver du latin bibere “boire”. Cela ne signifie pas nécessairement que c’était la rue des débits de boisson… L’appellation pourrait être liée au fait que l’eau de source est abondante dans le secteur.
Quatrième et dernier grand espace principal, le grand hémicycle forme la base de la structure d’étaiement. A son extrémité supérieure, il donne sur la via Biberatica avec neuf boutiques qui étaient couvertes de voûtes en berceau à présent disparues. La via Biberatica était donc bordée des deux côtés par des boutiques, ce qui la rendait sur tout son parcours beaucoup plus sombre qu’aujourd’hui. Derrière les boutiques, il y avait une terrasse. De cette terrasse, nous avons de nos jours une vue dominante sur le Forum de Trajan mais, dans l’Antiquité, cette vue était bornée par le très haut mur qui entourait le forum et dont on voit la base en demi-cercle au niveau de l’exèdre. Aux extrémités de ce corps de bâtiment deux escaliers conduisaient aux deux niveaux inférieurs. Le niveau intermédiaire était constitué de douze boutiques qui ouvraient sur un couloir en arc de cercle éclairé par de grandes fenêtres. Le niveau inférieur était constitué de onze pièces avec un sol original en mosaïque blanche et noire. Les murs étaient décorés de peintures. Il s’agit probablement des bureaux de représentation des trésoriers de l’ordre sénatorial. Les lieux ont été utilisés au moins jusqu’au Xe siècle, mais ils ont ensuite été complétement enfouis sous les gravats.