Ballista Fulminalis

Dans le chapitre 18 du De rebus Bellicis, l’auteur, anonyme, décrit une baliste foudroyante (Expositio ballistae fulminalis). Il s’agit d’une baliste de rempart, c’est à dire d’un lanceur de flèches fixe, très puissant.

L’Anonyme appelle cette machine, capable d’envoyer des flèches d’une rive à l’autre du Danube, la ballista fulminalis, la « baliste foudroyante ». Il dit lui-même au début du chap. 18 que ce n’est pas une invention de sa part, ni même une invention récente puisqu’elle a déjà été expérimentée (compertum est). Nous ne trouvons nulle part ailleurs le déterminant fulminalis appliqué au mot bal(l)ista, mais l’image de la foudre est souvent présente dans les textes décrivant les machines de guerre. Quand Végèce décrit les onagres (les lanceurs de pierres) et les balistes, il dit que « ces machines disloquent ou brisent tout ce qu’elles frappent, à la manière de la foudre (fulminis more) » (Veg., mil. 4, 22, 4).

Il est difficile de saisir l’originalité de la machine du De rebus bellicis par rapport aux puissants lanceurs de flèches mentionnés dans les autres textes techniques. Au Ier siècle av. J.-C., les Marseillais utilisaient déjà des balistes – à l’époque il s’agissait en fait d’un lanceur de pierres construit en bois (Fleury 1981 et 2007) – capables de lancer des pièces de bois d’environ 3,50 m de long, garnies de pointes de fer, ayant encore la force de se ficher en terre après avoir traversé quatre rangs de claies (Caes., ciu. 2, 2, 2 : Asseres enim pedum XII cuspidibus praefixi atque hi maximis balistis missi per IIII ordines cratium in terram defigebantur). L’innovation est peut-être ici dans le système de pointage à vis également mentionné pour la baliste de campagne

De rebus bellicis, 18, 1-11 (texte établi, traduit et commenté par Philippe Fleury, Paris, Les Belles Lettres, 2017) :

Expositio ballistae fulminalis
1 Huiusmodi ballistae genus, murali defensioni necessarium supra ceteras, impetu et uiribus praeualere usu compertum est : arcu etenim ferreo supra canalem quo sagitta exprimitur erecto, ualidus nerui funis ferreo unco tractus eandem sagittam magnis uiribus in hostem dimissus impellit. 2 Hunc tamen funem non manibus neque uiribus militum trahi fabricae ipsius magnitudo permittit, sed retro duabus rotis uiri singuli radiorum nisibus adnitentes funem retrorsum tendunt, pro difficultate rei uiribus machinis adquisitis. 3 Ballistam tamen ipsam ad dirigenda seu altius seu humilius tela cochleae machina prout uocet utilitas nunc erigit, nunc deponit. 4 Hoc tamen mirae uirtutis argumentum : tot rerum diuersitate connexum unius tantum otiosi, ut ita dicam, hominis ad offerendam tantummodo inpulsioni sagittam opera gubernat ; uidelicet ne, si hominum turba huius ministerio inseruiret, minueretur artis inuentio. 5 Ex hac igitur ballista tot et tantis ingenii artibus communita expressum telum in tantum longius uadit ut etiam Danubii, famosi pro magnitudine fluminis, latitudinem ualeat penetrare. 6 Fulminalis etiam nuncupata, appellatione sua uirium testatur effectum.
7 His igitur, inuicte imperator, machinarum quoque inuentionibus communitam potentiam inuicti duplicabis exercitus, hostium incursibus non ui solum et uiribus obuiando, sed etiam artis ingenio, maxime cum animi sagacitate per omnia elementa machinas repereris ualituras. 8 Nam siue terra sint subeunda discrimina contra desperati hostis audaciam, falcatis curribus per aperta camporum fugientium agmina persequeris ; siue murum subire temptauerit occulta temeritas, experietur ballistae fidem antequam ueniat ; aut si uictricem exercitus cursum fluuiorum uspiam meatus impediet, portandi pontis peculiaris succurret inuentio. 9 Quod si nauali bello terras fugiens maria hostis obsideat, nouo celeritatis ingenio terrestri quodammodo ritu rotis et bubus subacta fluctibus liburna transcurrens restituet sine mora uictoriam. 10 Quis enim huius uiribus resistet, quae et terrestris uehiculi nititur firmitate et habet de nauigii facilitate remedium ? 11 Erit praeterea fulminalis ballista felicium limitum custos, quae quanto minus ad armandam se uirorum ministerium quaerit, tanto est ingenii uirtute praestantior ; quicquid enim opis in ea numerosior manus afferre potuisset, id sibi artis ingenio dotata largitur.
XVIII. Description de la baliste foudroyante
1 Il a été prouvé par l’expérience que ce type de baliste, nécessaire pour la défense des remparts, est supérieur à tous les autres par sa portée et sa puissance : en effet on dresse un arc en fer au-dessus du canal d’où la flèche est éjectée, et un solide câble de nerf, tiré par une griffe en fer, une fois relâché, propulse cette flèche contre l’ennemi avec une grande puissance. 2 Cependant la taille même du système ne permet pas que le câble soit tiré à la main et avec la force des soldats : deux hommes tendent le câble au moyen de deux roues placées à l’arrière, chacun faisant pression sur les rayons de l’une d’elles, la puissance de la mécanique venant s’ajouter à leurs forces en raison de la difficulté de la chose. 3 Pour diriger le tir vers le haut ou vers le bas, c’est un système de vis qui tantôt élève, tantôt abaisse la baliste elle-même selon les besoins. 4 Preuve de son étonnante efficacité : ce système, composé de tant de pièces diverses, n’est contrôlé que par un seul homme1 au repos, si je puis parler ainsi, dont l’unique travail consiste à présenter la flèche pour le tir ; il est bien évident que, si une foule d’hommes étaient affectés à son service, l’invention perdrait de sa valeur. 5 Un trait lancé de cette baliste construite avec des perfectionnements aussi nombreux et aussi ingénieux va si loin qu’il est capable de franchir même la largeur du Danube, fleuve fameux pour ses dimensions. 6 Appelée « foudroyante », elle témoigne par son nom même de l’effet de sa puissance. 7 Ainsi donc, Empereur invincible, en renforçant aussi ton armée invincible de ces inventions mécaniques, tu doubleras sa puissance : tu feras face aux incursions ennemies non seulement par la force et le nombre, mais également par le génie technique, surtout lorsque tu auras vu, grâce à la sagacité de ton esprit, que les machines sont efficaces en toutes circonstances. 8 En effet, s’il faut se battre sur terre contre l’audace d’un ennemi désespéré, tu poursuivras ses colonnes en fuite sur terrain découvert avec les chars à faux ; si, téméraire parce qu’il se croit à l’abri, il tente d’approcher un rempart, il fera l’expérience de la fiabilité de la baliste avant d’arriver au but ; si, quelque part, le courant des fleuves arrête l’avance victorieuse de ton armée, l’invention originale du pont transportable viendra à la rescousse. 9 Si l’ennemi, fuyant la terre, occupe les mers avec une guerre navale, la liburne, fendant les flots à une vitesse qui n’avait pas encore été imaginée, propulsée par des roues et des bœufs, un peu comme si elle était sur la terre ferme, rapportera la victoire sans délai. 10 En effet, qui résisterait à la puissance de cette machine, qui se déplace avec la stabilité d’un véhicule terrestre et qui a la liberté de mouvement d’un navire ? 11 Il y aura encore la baliste foudroyante, gardienne des heureuses frontières, qui demande aussi peu d’hommes pour la servir qu’elle est supérieure par la qualité de sa conception ; en effet tout ce qu’une troupe plus nombreuse avait pu lui apporter, elle se le fournit à elle-même grâce à l’ingéniosité des techniques mises en œuvre.

La Ballista Fulminalis dessinée dans le manuscrit Parisinus (Paris, BNF, Latin. 9661 - Le De Rebus Bellicis y occupe les f. 53v-63r)La Ballista Fulminalis dessinée dans le manuscrit Parisinus (Paris, BNF, Latin. 9661 - Le De Rebus Bellicis y occupe les f. 53v-63r)
Ballista fulminalis décrite dans le De rebus bellicis - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryBallista fulminalis décrite dans le De rebus bellicis - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
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