Carroballista

Dans le chapitre 7 du De rebus bellicis, l’auteur, anonyme, décrit une baliste à quatre roues (Expositio ballistae quadrirotis). Il s’agit d’une baliste de campagne, c’est à dire d’un lanceur de flèches mobile, réglable rapidement dans toutes les directions.

La baliste de campagne décrite par l’Anonyme sous le nom de ballista quadrirotis est un lanceur de flèches léger monté sur quatre roues. Le lanceur de flèches lui-même paraît être du type décrit par Héron d’Alexandrie dans la Cheiroballistra, c’est-à-dire une baliste dont les ressorts, constitués de faisceaux de câbles, sont enfermés dans deux cadres métalliques reliés dans leur partie supérieure par une pièce en forme d’arc très caractéristique. L’idée que l’artillerie de l’Anonyme – la ballista quadrirotis dont il est question ici et la Ballista Fulminalis décrite au chap. 18 – serait une innovation parce qu’elle abandonnerait le principe de la torsion de faisceaux de nerfs pour adopter celui de la flexion d’un arc de fer repose, à notre avis, sur une mauvaise interprétation du texte, notamment de la phrase : hoc ballistae genus duorum opera uirorum sagittas ex se non, ut aliae, funibus, sed radiis intorta iaculatur (7, 6). Les funibus dont il est question ici ne sont pas les câbles des ressorts, mais les câbles de traction du tiroir sur lequel est placé le projectile dans les machines vitruviennes (Fleury 1981).

L’innovation du De rebus bellicis consiste à remplacer ces câbles par un système d’engrenages, le cranequin, bien attesté au Moyen Âge. L’installation de balistes sur des chariots est attestée depuis le début du IIe siècle p.C. sur la colonne Trajane (Relief XLI dans la numérotation de Cichorius 1896). Elle est confirmée à la fin du IIe siècle sur la colonne de Marc-Aurèle (Relief XVI dans la numérotation de Petersen 1896) et à la fin du IVe ou au début du Ve siècle par Végèce, qui désigne ce montage avec le nom composé carroballista (Veg., mil. 2, 25, 2 ; 2, 25, 4 ; 3, 14, 13 ; 3, 24, 14). Si donc l’appareil en lui-même n’est pas une innovation, l’Anonyme livre cependant des détails qui ne sont connus que par lui. C’est d’abord la présence de quatre roues. Ce n’est sûrement pas un hasard si cette particularité est signifiée dans le nom même de la machine, avec le mot quadrirotis, qui est un hapax. En effet, aussi bien la machine figurée sur la colonne Trajane que celle de la colonne de Marc-Aurèle n’ont que deux roues – nous ignorons le nombre de roues de la carroballista de Végèce.

La présence des quatre roues a plusieurs implications techniques. Il y a au moins deux avantages. Le premier est une plus grande capacité de transport en termes de poids et de volume. Cela peut permettre, par exemple, d’embarquer davantage de munitions et de rendre ainsi l’appareil plus autonome. Le second est une plus grande stabilité au moment du tir, que la machine soit dételée ou non. Les quatre roues, en revanche, présentent au moins un inconvénient : la rotation horizontale est moins facile et surtout moins rapide. Dans la baliste à deux roues, en effet, l’amplitude de la rotation horizontale permise par l’axe vertical sur lequel repose le fût peut être augmentée par une rotation rapide du chariot lui-même. Cela est beaucoup moins aisé avec quatre roues, et cela explique peut-être une autre originalité de détail de cette machine. La ballista quadrirotis du De rebus bellicis semble, en effet, posséder un système de pointage horizontal à 360°, qui implique une plate-forme pivotante, et un système de pointage vertical avec des engrenages à roues dentées et vis sans fin. Ces deux particularités ne se retrouvent nulle part ailleurs.

De rebus bellicis, 7, 1-6 (texte établi, traduit et commenté par Philippe Fleury, Paris, Les Belles Lettres, 2017) :

Expositio ballistae quadrirotis

1 Exemplum ballistae, cuius fabricam ante oculos positam subtilis pictura testatur. 2 Subiecta namque rotarum quattuor facilitas, duobus subiunctis et armatis equis, ad usus hanc bellicos trahit. Cuius tanta est utilitas pro artis industria ut omni latere in hostem sagittas impellat, sagittarii libertatem et manus imitata. 3 Habet foramina per quattuor partes quibus pro commoditate rerum circumducta et flexa facillime ad omnes impetus parata consistat. 4 Quae quidem a fronte cochleae machina et deponitur celerius et erigitur subleuata. 5 Sed huius temo in quamuis partem necessitas uocet cita et facili conuersione deflexus erigitur. 6 Sciendum est autem quod hoc ballistae genus duorum opera uirorum sagittas ex se non, ut aliae, funibus, sed radiis intorta iaculatur.

Description de la baliste à quatre roues

1 Voici un modèle de baliste, dont la construction se voit sur le dessin détaillé placé devant vos yeux. 2 Montée sur quatre roues, attelée à deux chevaux protégés par une armure, elle est facilement tirée là où on en a besoin au combat. Son perfectionnement technique la rend si pratique qu’elle lance des flèches sur l’ennemi de tous côtés avec la liberté et l’habileté d’un archer. 3 Elle a, aux quatre extrémités, des trous qui permettent de la faire tourner et de la diriger en fonction des circonstances et de la tenir ainsi prête très facilement pour toute attaque. 4 Elle est assez rapidement pointée vers le haut ou vers le bas grâce à un système de vis placé devant. 5 Ainsi son fût, qu’une rotation facile et rapide dirige dans n’importe quelle direction selon les nécessités, peut également être levé. 6 Il faut savoir que ce type de baliste, manœuvrée par deux hommes, lance ses flèches en étant bandée non par des câbles, comme les autres, mais par des engrenages.

La Balista quadrirotis dessinée dans le manuscrit Parisinus (Paris, BNF, Latin. 9661 - Le De Rebus Bellicis y occupe les f. 53v-63r)La Balista quadrirotis dessinée dans le manuscrit Parisinus (Paris, BNF, Latin. 9661 - Le De Rebus Bellicis y occupe les f. 53v-63r)
Balliste de campagne décrite dans le De Rebus Bellicis - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryBalliste de campagne décrite dans le De Rebus Bellicis - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
Balliste de campagne décrite dans le De Rebus BellicisLa baliste. La vis de levage est en position basse. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryBalliste de campagne décrite dans le De Rebus BellicisLa baliste. La vis de levage est en position basse. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
La balliste prête à tirer. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryLa balliste prête à tirer. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
Gros plan - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryGros plan - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
Gros plan. La balliste est prête à tirer. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryGros plan. La balliste est prête à tirer. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
Détail du treuil avec un système de cranequin. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe FleuryDétail du treuil avec un système de cranequin. - Infographie : Charlie Morineau - Dossier scientifique : Philippe Fleury
Machines de guerre romaines [3D] - Les Nocturnes du Plan de Rome - 07 nov. 2018
Bardouille J., « L’importance du génie militaire dans l’armée romaine à l’époque impériale », Revue historique des armées, vol. 261, 2010, p.  79‑87.
Condorelli S., Riforme e tecnica nel de rebus bellicis, Messina, Sortino, 1971.
Fleury P., « Machines de guerre et puissance dans la littérature latine » dans Les armes dans l’Antiquité. De la technique à l’imaginaire, Montpellier, CERCAM, 2007, p.  367‑388.
Fleury Ph., De rebus bellicis, Paris, Les Belles Lettres, 2017.
Garlan Y., La guerre dans l’Antiquité, Paris, Nathan, 1972.
Harmand J., La guerre antique, de Sumer à Rome, Paris, PUF, 1973.
Ireland R.-I., Anonymous De rebus bellicis, Leipzig, Teubner, 1984.
Jouffroy H., « Le De rebus Bellicis, source d’histoire militaire ? », dans L’armée romaine de Dioclétien à Valentinien Ier, Lyon, De Boccard, 2004.
Lendle O., « Antike Kriegsmaschinen », Gymnasium, no 88, 1981, p.  330‑356.
Reinach S., « Un homme à projets du Bas-Empire », Revue archéologique, vol. 16, 1922, p.  205‑265.
Russo F., Rossi C. et Russo F., « Automatic Weapons of the Roman Empire » dans Proceedings of Eucomes 08 : the second european Conference on Mechanism Science, Dordrecht, Springer e-book, 2009, p.  1‑9.
Schneider R., Anonymus De rebus bellicis, Berlin, Weidmann, 1908.
Thompson E.-A., A Roman Reformer and Inventor, Oxford, Clarendon Press, 1952.