Servante automatique

L’automate de la servante automatique distribuant de l’eau et du vin est décrit dans le paragraphe 30 des Pneumatiques de Philon de Byzance. Cependant aucun texte grec n’est aujourd’hui disponible pour ce traité, seules des versions arabes sont accessibles.

Avant de comprendre comment le mécanisme fonctionne, il est utile de préciser qu’il est camouflé à l’intérieur du corps de la servante pour être masqué du public. Le texte nous apprend que l’automate est entièrement construit de cuivre ou d’argent, et que la servante est représentée debout, avec une aiguière dans sa main droite. Il nous indique aussi que la coupe est alourdie par un lest à sa base et que le mélange distribué est de deux tiers de vin et d’un tiers d’eau. Dans l’Antiquité, le vin se stocke dans un état très concentré. Il est nécessaire de le diluer avec de l’eau pour qu’il soit buvable. Ce qui explique la présence des deux réservoirs dans la servante.

Le fait que la servante doive servir à chaque fois deux tiers de vin puis un tiers d’eau sans que la coupe ne déborde jamais est bien ce qui fait la magie de cet automate. Le mélange n’est pas préparé à l’avance dans le réservoir. Ce devait être assez étonnant pour les invités de voir d’abord le vin couler, puis l’eau, le tout depuis le même contenant. Dans une logique anthropomorphique, nous pouvons aussi croire que la servante fait preuve d’intelligence puisqu’elle ne laisse jamais la coupe déborder.

Le texte est difficile à comprendre à la première lecture, c’est pourquoi un plan du mécanisme (cf. Schéma) est construit et permet de reconstituer le fonctionnement de la machine.

Quand on pose la coupe alourdie sur la main gauche de la servante, le bras gauche se baisse. Ce bras est relié à une crosse par deux tourillons. En mécanique, un tourillon est une partie cylindrique autour de laquelle une pièce reçoit un mouvement de rotation. Un des tourillons (A) est fixe et sert d’axe de rotation à la crosse. L’autre (B) permet de relier le bras à la crosse (C) par une tige (D). Cette crosse est semblable à une serpe à émonder les arbres et est alourdie à sa base, servant ainsi de contrepoids au mécanisme pour maintenir le bras en place. Quand le bras s’abaisse, cela tire sur l’extrémité de la crosse, le tourillon qui n’est pas fixe agit comme un levier et le mécanisme se met en marche.

Deux tuyaux (E, F) sortent du réservoir, l’un pour le vin, et l’autre pour l’eau. Deux tiges pleines (H, G) forment l’extrémité de la crosse et sont imbriquées dans ces deux tuyaux. Quand le mécanisme s’actionne, les tiges coulissent dans les tuyaux grâce à des joints de cuir. Ceux-ci permettent un fonctionnement silencieux de l’automate, ainsi les convives utilisant la servante ne soupçonnent pas la présence d’un mécanisme à l’intérieur. Sur chacune des tiges pleines, une fente est présente. La tige qui entre en contact avec le tuyau du vin (G) est la plus longue. La fente située à l’extrémité est deux fois plus longue que celle présente sur l’autre tige (H). Lorsque la fente est au niveau du tuyau, elle permet à l’air d’y entrer durant un certain laps de temps. Quand la fente a achevé sa

traversée du tuyau, la tige pleine bouche l’entrée et le passage de l’air s’interrompt.

Le réservoir dimensionné de la tête à sa poitrine est scindé en deux parties égales servant de réserve pour le vin et l’eau. La tête est un couvercle étanche et offre la possibilité de remplir les réservoirs. L’air entre dans le réservoir par les deux tuyaux. Il prend la place du vide et chasse le liquide (vin et eau) qui s’écoule vers l’aiguière par deux tuyaux cachés dans l’avant-bras de la servante. Les deux fentes sont de dimensions inégales afin de respecter le ratio deux tiers de vin et un tiers d’eau.

Quand l’écoulement des liquides est terminé, le convive reprend sa coupe. Le contrepoids présent dans la courbure de la crosse permet au bras de reprendre sa position initiale.

La servante automatique de Philon de Byzance est un automate destiné à un public issu des classes aisées du monde hellénistique. Sa structure et ses mécanismes internes, fabriqués avec des matériaux nobles, en sont le témoignage. La servante, machine issue de la thaumaturgie, est utilisée principalement pour émerveiller les convives lors des banquets et des repas. Elle peut remplacer les esclaves dans la distribution du vin.

Philon Pneum. 30

Description d’un autre vase plus merveilleux que celui-là.} – C’est une fontaine à intermittence ayant la forme d’une servante qui tient en main une aiguière. Quand on place dans la paume de sa main gauche une coupe à boire, elle verse du nébîd en la quantité que l’on veut ; ensuite elle verse l’eau qu’on mélange à ce nébîd.
Vous faîtes une servante de cuivre ou d’argent, représentée debout. De sa tête à sa poitrine vous pratiquez un réservoir séparé par une cloison en deux moitiés. Dans chaque réservoir est un tuyau à air, et dans chacun un tuyau à liquide qui s’en va vers l’aiguière. Le tuyau du réservoir à nébîd se dirige droit vers l’aiguière et le tuyau du réservoir d’eau, qui est long, est dans le ventre de la servante, tournant autour du réservoir. Les tuyaux à air s’ouvrent en bas du réservoir, du côté du ventre de la servante. La main gauche tient, à l’épaule, sur deux tourillons. A l’intérieur de la figure est une crosse, tournée en bas, pareille à la serpette à émonder les arbres ; sur cette crosse sont deux verges, semblables à deux robinets, et toutes deux forment clef. Elles ont deux fentes ou deux trous à leurs extrémités. Ces extrémités entrent exactement dans celles du tuyau à air et elles y tournent à frottement doux. Le bas de la crosse qui ressemble à la serpette est un peu alourdi. Il tend naturellement vers le bas et il élève la main gauche ; celle-ci s’élève à l’extérieur, en tirant les deux petits tuyaux qui forment clef. Leurs deux trous s’écartent des deux trous des tuyaux à air. Ceux-ci sont bouchés, et les liquides ne s’écoulent pas des deux orifices dans l’aiguière.
Toute cette construction est à l’intérieur de la servante. L’eau et le nébîd se déversent de la tête de la servante et coulent facilement ; le crâne constitue un couvercle très étanche. La main droite reste à sa place, ne se mouvant pas, et l’aiguière non plus ne se meut pas. Les deux trous font communiquer les deux réservoirs avec l’aiguière, comme nous l’avons dit.
Voici la description de la servante : A et B sont les marques des deux réservoirs ; celles des tuyaux à air Γ et ∆ ; celles des deux tuyaux à liquide qui s’en vont à l’aiguière E et Z ; celle des tourillons de la main est H ; celle de la crosse Θ ; les deux clefs sont marquées I et K.
Il y a dans la figure un trou qui ouvre sur l’extérieur, et le couvercle est fermé pendant l’opération, afin que l’air soit aspiré, autrement l’appareil ne fonctionnerait pas.
Après avoir achevé ce que nous venons de décrire, prenez une coupe de la capacité d’un ritl ou d’un demi-ritl, ou de la capacité que vous voudrez, en rapport avec les dimensions que vous aurez données aux orifices. Il convient de diviser le mélange dans la proportion du tiers, soit 2/3 de nébîd et 1/3 d’eau. La capacité de la coupe sera en conséquence. La coupe est alourdie en bas par un poids convenable.
Quand on la place dans la paume de la main gauche, elle l’abaisse ; la crosse se meut ; les tuyaux qui forment clef se lèvent, le trou d’air qui correspond au nébîd précédant l’autre, de façon qu’il parvienne plus vite à sa place dans le tuyau à air ; le trou correspondant à l’eau ne parvient à la sienne que lorsque la coupe est déjà alourdie de nébîd et lorsque celui-ci y est déjà versé presque en entier. Alors la main s’incline davantage et la clef du nébîd dépasse la sienne par en dessus ; son tuyau se bouche et il n’en sort plus rien ; puis l’eau commence à couler.
Quand la figure a versé ce qu’elle a à verser, prenez-lui la coupe. La main revient à sa place en bouchant les deux trous d’air, et il ne sort plus rien de l’aiguière.
Si on replace la coupe dans la main de la servante, après l’avoir vidée, la main redescend et le nébîd puis l’eau recommencent à couler dans la coupe. Ainsi de suite, tant qu’il y a du nébîd et de l’eau.
Voilà ce que nous voulions expliquer au sujet de cette fontaine à intermittence faite à l’image d’une servante. Comprenez ce que nous avons décrit. Voici la figure.

Pompéï, Villa des Mystères, mégalographie du triclinium - Ier siècle après J.-C. (Cliché Y. Forget - 2012).Pompéï, Villa des Mystères, mégalographie du triclinium - Ier siècle après J.-C. (Cliché Y. Forget - 2012).
Servante, vêtue d’une tunique, travaillant le sol, fresque murale, Pompéi, Italie, Ier siècle après J.-C. (cliché R. Delort).Servante, vêtue d’une tunique, travaillant le sol, fresque murale, Pompéi, Italie, Ier siècle après J.-C. (cliché R. Delort).
Servante, portant une stola et un pallium, mosaique de la villa romaine du Casale, Sicile, Italie, IVe siècle après J.-C. (cliché Y. Travert).Servante, portant une stola et un pallium, mosaique de la villa romaine du Casale, Sicile, Italie, IVe siècle après J.-C. (cliché Y. Travert).
Jeune esclave présentant une boîte à bijoux à sa maîtresse assise, stèle funéraire, vers 430/410 avant J.-C., British Museum, Londres, Royaume-Uni (Cliché M.-L. Nguyen - 2006).Jeune esclave présentant une boîte à bijoux à sa maîtresse assise, stèle funéraire, vers 430/410 avant J.-C., British Museum, Londres, Royaume-Uni (Cliché M.-L. Nguyen - 2006).
Restitution du mécanisme interne de l’automate (Réalisation J. Nicolle)Restitution du mécanisme interne de l’automate (Réalisation J. Nicolle)
Restitution virtuelle de la Servante (Réalisation J. Nicolle)Restitution virtuelle de la Servante (Réalisation J. Nicolle)
Intégration du mécanisme dans le corps de la servante (Réalisation J. Nicolle)Intégration du mécanisme dans le corps de la servante (Réalisation J. Nicolle)
Intégration de l’automate dans le triclinium d’une riche domus (Réalisation J. Nicolle et C. Morineau).Intégration de l’automate dans le triclinium d’une riche domus (Réalisation J. Nicolle et C. Morineau).
a) Schéma explicatif du fonctionnement de l’automate par K. Kotsanas. b) La Servante automatique de K. Kotsanas, Musée des automates, Olympie, Grèce (cliché Ph. Fleury).a) Schéma explicatif du fonctionnement de l’automate par K. Kotsanas. b) La Servante automatique de K. Kotsanas, Musée des automates, Olympie, Grèce (cliché Ph. Fleury).
Les automates antiques [3D] - Les Nocturnes du Plan de Rome - 04 avr. 2018
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