Tortue de terrassiers

Les tortues sont des machines de siège. Ce sont les “engins blindés” de l’Antiquité.

La tortue de terrassiers est est une machine de siège qui permet aux soldats de préparer une voie d’accès aux remparts pour les autres machines tout en étant abrités. La machine est en bois et mesure 11,50 m X 9,75 m sur presque 10 m de haut. La toiture en bois est recouverte d’une claie faîte d’un lacis très serré de fines baguettes. Viennent ensuite des cuirs bien verts, cousus doublés et bourrés d’algues ou de paille macérée dans du vinaigre. Comme l’indique Vitruve (10, 14, 1-3), la tortue peut avancer tout droit, sur les côtés ou obliquement. Il suffit de démonter les chapes et les roues ceintes de fer.

Tortue de terrassiers : base et antennes (Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993, fig. 74, p. 303.)

Tortue de terrassiers : élévation (Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993, fig. 75 p. 303)

Vitruve, 10, 14, 1-3 (les lettres renvoient aux figures de la partie “description”) :

La tortue qui est montée pour le comblement des fossés et qui peut donner aussi un moyen d’accès au rempart doit être faite de la manière suivante.

La base

On assemblera une plate-forme (A), dite en grec eschara, carrée par tous ses côtés, dont chacun sera de 21 pieds, et munie de 4 pièces transversales (B). Ces pièces doivent être maintenues par 2 autres pièces (C), épaisses d’1,5 pied, larges d’1/2 pied ; l’espacement entre les pièces transversales sera d’environ 3,5 pieds. Et l’on disposera par-dessous, dans chacun de leurs intervalles, des chapes K-a), dites en grec hamaxopodes, à l’intérieur desquelles tournent les essieux des roues (e), retenus par des plaques de fer (b). Ces chapes doivent être agencées de manière qu’elles aient des pivots (c) et des ouvertures (d), par où l’on fera passer des leviers qui assurent leurs mouvements de rotation ; ce dispositif doit permettre, grâce aux chapes qui pivotent, d’aller en avant, en arrière, sur le côté droit ou gauche, ou encore en oblique, de biais, si cela est nécessaire.

Basis compingatur, quae graece eschara dicitur, quadrata habens quoqueuersus latera singula pedum XXI et transuersaria IIII. Haec autem contineantur ab alteris duobus crassis I S latis S ; distent autem transuersaria inter se circiter pedes III S. Supponanturque in singulis interuallis eorum arbusculae, quae graece hamaxopodes dicuntur, in quibus uersantur rotarum axes conclusi lamnis ferreis. Eaeque arbusculae ita sint temperatae, ut habeant cardines et foramina, quo uectes traiecti uersationes earum expediant, uti ante et post et ad dextrum seu sinistrum latus, siue oblique ad angulos opus fuerit, ad id per arbusculas uersatis progredi possint.

Les antennesOn placera d’autre part, au-dessus de la plate-forme, deux pièces de bois (D) faisant, sur chaque côté, une saillie de six pieds chacune et l’on fixera contre ces parties en saillie deux autres pièces de bois (E) faisant elles-mêmes, par leur prolongement, une saillie de sept pieds, leur épaisseur et leur largeur étant celles données à propos de la plate-forme.

Conlocentur autem insuper basim tigna duo, in utramque partem proiecta pedes senos, quorum circa proiecturas figantur altera proiecta duo tigna ante frontes pedes VII, crassa et lata uti in basi sunt scripta.

L’élévation et le toit

Au-dessus de cet assemblage, on montera des poteaux jumelés (L), de neufs pieds sans les tenons, d’une section constante d’un pied un quart, et distants entre eux d’un pied et demi. Ces éléments seront maintenus du haut au moyen de poutres d’assemblage (F). Sur les poutres seront placés des chevrons (G) engagés à tenons l’un dans l’autre et dressés jusqu’à une hauteur de neuf pieds. Sur les chevrons, on placera une pièce de bois carrée (H) qui rendra solidaires ces chevrons. Eux-mêmes seront maintenus par des pièces latérales (I), fixées de part et d’autre, et ils seront recouverts par des planches (J), de préférence en palmier, sinon en tout autre bois qui ait la meilleure résistance possible, le pin ou l’aune étant exclus : ces bois sont en effet fragiles et prennent feu facilement. Comme revêtement de ce planchéiage, on placera une claie faite d’un lacis très serré de fines baguettes, tout fraîchement coupées. C’est avec des cuirs bien verts, cousus doublés et bourrés d’algues ou de paille macérée dans du vinaigre, que sera recouverte la machine entière. Une protection efficace sera ainsi fournie contre les coups de balistes et l’attaque des flammes.

Insuper hanc compactionem exigantur postes compactiles, praeter cardines pedum VIIII, crassitudine quoquouersus palmopedales, interualla habentes inter se sesquipedes. Ea concludantur superne intercardinatis trabibus. Supra trabes conlocentur capreoli cardinibus alius in alium conclusi, in altitudine excitati pedes VIIII. Supra capreolos conlocetur quadratum tignum quo capreoli coniungantur. Ipsi autem laterariis circa fixis contineantur, teganturque tabulis maxime palmeis, si non, ex cetera materia, quae maxime habere potest uirtutem, praeter pinum aut alnum ; haec enim sunt fragilia et faciliter recipiunt ignem. Circum tabulata conlocentur crates ex tenuibus uirgis creberrime textae maximeque recentibus. Percrudis coriis duplicibus consutis, fartis alga aut paleis in aceto maceratis, circa tegatur machina tota. Ita ab his reicientur plagae ballistarum et impetus incendiorum.(Texte, traduction et commentaire, Ph. Fleury, La mécanique de Vitruve, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993).

La tortue de terrassiers décrite par Vitruve - Infographie : K. Vivien et N. Lefèvre - Dossier scientifique : Ph. Fleury et S. MadeleineLa tortue de terrassiers décrite par Vitruve - Infographie : K. Vivien et N. Lefèvre - Dossier scientifique : Ph. Fleury et S. Madeleine
La tortue de terrassiers décrite par Vitruve - Infographie : K. Vivien et N. Lefèvre - Dossier scientifique : Ph. Fleury et S. MadeleineLa tortue de terrassiers décrite par Vitruve - Infographie : K. Vivien et N. Lefèvre - Dossier scientifique : Ph. Fleury et S. Madeleine
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