Les palais des empereurs sont tous localisés sur le Palatin.
La domus Augustana est la résidence impériale à partir de Domitien (on lui donne aussi le nom de Palais Flavien). Elle occupe toute la partie sud-est du palatin. A partir d’Auguste, la colline du Palatin (Palatium, qui a donné en français le mot “palais”) devint progressivement un lieu de pouvoir. Tout commença fin 44 av. J.-C. lorsque Octave, qui n’avait pas encore le titre d’Auguste, acheta une maison tout près de la cabane légendaire de Romulus. Il acquit ensuite plusieurs maisons contiguës, puis, à la suite d’une chute de la foudre, il modifia le plan initial pour y inclure un Temple à Apollon, inauguré en 28 av. J.-C. Après la mort d’Auguste, en 14 ap. J.-C., cette maison ne fut plus utilisée comme résidence par ses successeurs. Tibère s’installa dans le secteur nord-ouest de la colline. L’ensemble que l’on appelle la domus Tiberiana, constitué de propriétés républicaines réunies, fut agrandi, modifié, restructuré par ses successeurs.
Le grand palais, celui qui sera le symbole du pouvoir absolu des empereurs, fut construit après la mort de Néron en 68, par la dynastie des empereurs flaviens : Vespasien et ses deux fils : Titus et Domitien. Il recouvrit des constructions précédentes, notamment des structures néroniennes qui allaient bien au-delà de la domus Tiberiana. La difficulté est que l’on donne aux différentes parties du Palais Flavien des noms qui semblent laisser comprendre qu’il s’agit de constructions distinctes.
On distingue en effet quatre parties dans le palais Flavien :- D’est en ouest, nous avons d’abord ce que l’on considérait jusqu’à présent comme la partie publique du palais flavien et que l’on dénomme conventionnellement la domus Flauia, bien que ce nom ne soit pas attesté dans les sources anciennes. – Vient ensuite une partie centrale, à laquelle on réserve habituellement l’appellation domus Augustana, sachant que cette expression désignait dans l’Antiquité l’ensemble du palais (= « la maison des Augustes »).
– Puis, au sud-ouest, se trouve une partie que l’on croyait jusqu’à présent construite par les empereurs Sévères d’où le nom de domus Seueriana, mais qui existait déjà à l’époque flavienne. Il s’agit en fait d’une reconstruction, consécutive à l’incendie de 191.- Au nord enfin, se trouve une vaste terrasse que l’on nomme la zone archéologique de la Vigna Barberini parce que du XVIIe siècle au XXe siècle, la famille des Barberini y possédait un domaine agricole. La construction de cette grande terrasse fut entreprise sous le règne de Vespasien, vraisemblablement vers 70 ap. J.-C. C’est sous cette terrasse que F. Villedieu a retrouvé les restes de la salle à manger tournante de Néron. Il y avait probablement un accès direct de la domus Augustana à la Vigna Barberini.
Il est donc préférable de parler en français de « Palais flavien » plutôt que de « Palais de Domitien », mais il s’agit en fait d’un chantier permanent qui démarre au début de l’époque flavienne vers 70 ap. J.-C. et qui se termine sous Maxence au début du IVe siècle. Le plan d’ensemble n’a peut-être pas été conçu en une seule fois, mais il se fixe à la fin du règne de Domitien. Pour comprendre ce plan, il faut partir du contexte historique de la construction. A la mort de Néron en 68 ap. J.-C., le centre-ville de Rome est occupé par l’immense palais que l’on connaît sous le nom de domus Aurea. C’était une « méga -villa », conçue sur le modèle des luxueuses villas suburbaines des riches romains destinées essentiellement à l’otium. Néron a largement agrandi son palais au-delà de la domus Tiberiana : il s’est étendu du Palatin à l’Esquilin sur plusieurs dizaines d’hectares. Cette domus Aurea n’a été acceptée ni socialement, ni politiquement. Les Flaviens eux vont se contenter du Palatin et utiliser un autre concept : celui de la domus, c’est-à-dire de la maison aristocratique urbaine.
L’accès principal au palais se faisait par le nord, en empruntant ce que l’on appelle aujourd’hui le Clivus Palatinus. On entrait probablement par le bâtiment central, celui que l’on appelle la domus Augustana. Le cœur du concept est l’axe longitudinal qui conduit de la rue au jardin, de l’espace public qu’est la rue, ici le Clivus Palatinus à l’intimité la plus profonde de la maison qu’est le jardin : l’endroit où l’on se retire pour méditer ou écrire, l’endroit où l’on n’invite que les plus proches. On retrouve donc sur cet axe les composants de la domus urbaine : le vestibule, l’atrium, le péristyle et le jardin. Si l’on en restait là, il s’agirait déjà d’une domus exceptionnelle puisqu’il y a 200 m entre l’entrée et le fond du jardin, mais au nord-ouest, on a doublé les espaces de cérémonie en construisant ce que l’on appelle la Domus Flavia .
La Domus Flavia , conçue comme un espace de représentation aux dimensions colossales, se compose elle-même de trois parties. 1. Au nord, un ensemble de trois salles couvertes. Celle du centre est gigantesque : 37 x 44 m (125 x 150 pieds), probablement plus de 27 m de hauteur sous plafond, 1200 m2 de surface utile au sol. Il s’agit de la grande salle d’audience impériale, l’aula Regia . Au nord-ouest, une salle plus petite (21 x 24 m à l’intérieur, sans compter l’abside), est appelée “basilique”. C’est peut-être là que se tenait le consilium principis (le conseil du prince). Ce fut peut-être aussi un lieu où l’empereur rendait la justice. Au sud-est, une salle encore plus petite, est appelée le “laraire” mais c’était probablement la salle des gardes. 2. Au centre, le péristyle, un grand jardin à ciel couvert avec une fontaine monumentale en forme de labyrinthe. 3. Au sud la grande salle de banquet, le triclinium, appelé la Cenatio Iouis, « la salle à manger de Jupiter ». Le banquet et l’audience sont en effet les deux grandes mises en scène du pouvoir impérial. Le sol du péristyle est à peu près conservé, mais il ne reste que les fondations des portiques qui l’entouraient. Il en est de même pour la grande salle de banquet, la Cenatio. La disparation d’une grande partie de son sol central permet au moins de voir que cette grande salle était chauffée par hypocauste, un système de chauffage par le sol, comme dans les thermes. Il s’agit d’un aménagement qui date de l’époque d’Hadrien. L’abside réservée à l’empereur a gardé la décoration de son sol. Il ne reste pratiquement rien du mobilier intérieur. Deux statues colossales en basanite, conservées au Musée de Parme, donnent une idée du type de statuaire qui était présent. Il s’agit de représentations de Bacchus et d’Hercule. Mais plusieurs textes contemporains de l’édification du palais nous renseignent sur l’impression extraordinaire que produisaient la grandeur et le luxe de ce bâtiment sur la population : « Je me trouve dans un palais auguste, immense, soutenu par des colonnes innombrables, et capable de supporter le ciel avec les habitants du ciel pendant le repos d’Atlas. Édifice dont s’étonne la demeure voisine du maître du tonnerre, édifice rival de l’Olympe, et que les Dieux se réjouissent de vous voir habiter, dans l’espoir que vous serez moins empressé de prendre l’essor vers le ciel. Monument superbe, qui déploie impétueusement ses contours, impatient de toute limite, qui embrasse un espace immense et ne le cède qu’à son maître » (Stace, Silves, 4, 2, 18-25).A l’est et au nord, on a doublé les grands espaces que l’on trouve cette fois dans les villas suburbaines : jardins (« stade » et Vigna Barberini) et terrasse (domus Seueriana).
Il semble donc que les visiteurs entraient dans la domus Augustana par la partie que nous avons appelée vestibule et atrium. C’est aujourd’hui la partie la moins bien connue archéologiquement (on lui a du reste attribué cette curieuse appellation de no man’s land). A l’origine c’était une vaste cour qui fut progressivement couverte. La restitution virtuelle proposée, comme celle de Paul Bigot, est complètement hypothétique. En tout cas, c’est là que les visiteurs étaient accueillis, répartis en petits groupes en fonction de leur statut et de l’objet de leur visite, et dirigés vers le lieu où ils allaient rencontrer l’empereur. L’espace est vaste (53 x 26 m = 1378 m2) et peut accueillir beaucoup de visiteurs en attente. Aulu-Gelle (Nuits attiques, 4, 1, 1), au IIe siècle ap. J.-C., en parle ainsi : « Au Palatin , dans le vestibule du palais, une foule de presque tout rang attendait le moment de saluer l’empereur ». Le cérémonial de la salutation, qui concerne à la fois l’empereur et les membres les plus importants de sa famille, est un rappel de la salutation matinale républicaine des clients à leur patron. Les visiteurs pouvaient attendre là suffisamment longtemps pour entreprendre de longues conversations philosophiques comme nous le dit Aulu-Gelle dans un autre passage (19, 13, 1): « Cornélius Fronton, Postumius Festus et Suplicius Apollinaris se tenaient par hasard ensemble dans le vestibule du palais et moi j’étais là debout auprès d’eux avec quelques autres, cherchant avec grand intérêt à attraper les propos qu’ils tenaient sur des savoirs littéraires ».
A partir de la partie vestibule/atrium, le visiteur pouvait être convié, à l’ouest, dans les grands espaces de la Domus Flavia décrits plus haut ou, en continuant l’axe nord sud, être conduit dans ce que l’on appelle aujourd’hui le péristyle supérieur. Au milieu il y avait un vaste plan d’eau, au centre duquel on construisit plus tard une petite île reliée au portique du péristyle par un pont. Sur l’île était peut-être construit un petit temple ou, selon d’autres interprétations, une salle à manger. Autour du péristyle s’ouvraient des salles à destinations diverses, notamment des salles de banquet.Le visiteur le plus intime pouvait enfin accéder aux différents niveaux de la partie sud. Au niveau inférieur, profondément enterré (à 11 m sous le niveau principal du palais), se trouvait ce qu’on appelle le péristyle inférieur. Le groupe de pièces qui se trouve du côté ouest est aéré et éclairé par trois cours intérieures au même niveau que le centre du péristyle. Au fond de chaque cour, il y avait un bassin d’eau. Ces bassins étaient prévus dans le plan d’origine mais leur importance a encore été accentuée par la suite. Sous Hadrien le bassin le plus au nord est transformé en piscine et, après Hadrien des canaux coupent le portique périphérique. Les pièces de ce péristyle inférieur avaient probablement deux utilisations. Le matin, elles pouvaient servir de salles de réception que l’empereur parcourait successivement pour saluer et s’entretenir avec ses visiteurs par petits groupes et en fin d’après-midi elles servaient de petites salles de banquet. Les convives dînaient ainsi avec la vue et le bruit de l’eau qui l’été apportait en plus de la fraicheur. La piscine leur offrait aussi la possibilité de prendre des bains pendant le repas. C’est une pratique attestée dans les textes, notamment pour Néron : « Il faisait durer ses festins de midi à minuit et bien des fois prenait entre temps des bains chauds ou, pendant la saison d’été, rafraîchis avec de la neige » (Suétone, Néron, 27, 2).
Au même niveau que le péristyle inférieur, se trouvait le jardin le plus spectaculaire de tous, ce lieu qu’on appelle aujourd’hui « le stade ». On peut imaginer l’empereur faisant de longues promenades, éventuellement accompagné de quelques invités privilégiés, autour de cet espace vert de 161 m de long. Le déambulatoire en forme de U qui l’entoure offrait une promenade de 300 m à l’ombre et à l’abri de tous les regards. Domitien lui-même aimait ce type de promenade : « Il donnait fréquemment de larges festins, mais presque à la hâte, en tout cas sans dépasser le coucher du soleil ni se livrer ensuite à l’orgie, car, jusqu’au moment de dormir, il ne faisait que se promener tout seul, l’écart » (Suétone, Domitien, 21, 3-4). Ce type de jardin est caractéristique des luxueuses maisons romaines, mais réservé d’ordinaire « aux villas de campagne ».On voit donc que si les pièces les plus grandioses les plus prestigieuses se trouvent à l’ouest (dans la Domus Flavia ), les visiteurs les plus honorés étaient conduits dans la partie sud (dans le péristyle inférieur). Il vaut donc mieux substituer à la distinction partie publique / partie privée que l’on faisait jusqu’à présent une distinction prestige / intimité. Et l’hôte le plus honoré est celui qui est reçu dans l’intimité la plus profondeIl est remarquable de noter que ce plan d’ensemble n’a jamais été fondamentalement modifié depuis sa construction. Mai le palais a été constamment entretenu, restauré et réaménagé. Les modifications les plus importantes sont :
– au sud l’aménagement d’une façade vers le Grand Cirque et l’installation d’un accès direct à la loge impériale de l’édifice de spectacle. Cette modification a été voulue par Trajan qui avait compris toute l’importance du Cirque désormais dans le cérémonial impérial. Ce modèle sera repris dans les autres capitales impériales, notamment à Constantinople, mais ce lien n’existait à l’origine de la formation du palais flavien.- au nord le remplacement du jardin de la Vigna Barberini par un temple dédié d’abord à Elagabal puis à Jupiter Vltor- à l’est une réfection complète de la terrasse (ce que l’on appelle la domus Severiana) et la construction du Septizodium , redonnant du prestige à la façade sud-est.
La domus Augustana ne fut pas le seul lieu de résidence de l’empereur. D’abord parce que l’empereur séjournait souvent dans ses résidences secondaires à Rome même ou à l’extérieur de Rome comme Hadrien à Tivoli (l’ancienne Tibur). Ensuite parce qu’à partir de la fin du IIIe siècle ap. J.-C., Rome n’est plus le seul lieu d’exercice du pouvoir impérial. Des capitales secondaires comme Trèves en Allemagne possédaient leur propre palais. Il n’empêche que le Palatin gardera toujours une importance symbolique malgré son abandon progressif. Le cœur de la domus Augustana continuera d’être utilisé longtemps. Le Temple de Jupiter Vltor et la domus Tiberiana furent abandonnés et transformés en décharge en même temps que les églises entreprirent la conquête de la colline, mais les détenteurs successifs du pouvoir à Rome continueront de s’installer sur le Palatin. Même après la fin de l’empire romain d’occident en 476 ap. J.-C, le Palatin continuera d’avoir une importance symbolique. Théodoric au VIe siècle s’installera un temps sur la colline ; Otton III, empereur des Romains à la fin du Xe siècle, s’y fera construire un palais. Et surtout le Palatium reprendra vie à Constantinople, dans une configuration semblable à celle de Rome : en haut d’une colline et en bordure d’un cirque (Constantin s’y installe en 330 ap. J.-C.).